Environ un millier d’entreprises sont vendues chaque année à la barre des tribunaux de commerce. L’opération reste risquée même si elle peut se révéler profitable. Le repreneur ne dispose d’aucune garantie, à la différence du rachat d’une société in bonis. Il doit être bien entouré et disposer de fonds suffisants afin de remettre l’entreprise sur de bons rails. Il lui faudra aussi agir habilement pour séduire administrateur, mandataire et juges car la concurrence sur un même dossier peut être féroce.
Le marché de la reprise est à la barre suscite de nombreux de fantasmes. D’aucuns imaginent une sorte de curée commerciale. D’autres croient en une collusion généralisée entre juges et acheteurs. La réalité est différente. Depuis quelques années, le ménage a été fait dans les quelques tribunaux de commerce les plus douteux même si une transparence totale ne règne pas encore. Toutefois, l’on ne s’improvise pas repreneur d’une société en difficulté. L’opération comporte des risques. Le cadre supérieur lassé du salariat aura avantage à se tourner vers le marché des entreprises in bonis. D’ailleurs, la majorité des repreneurs à la barre sont des personnes morales, des groupes qui possèdent des moyens financiers. Pour Claude Ravon, avocat spécialisé au cabinet La Boétie, il s’agit d’un marché d’initiés. « Le marché de la reprise à la barre s’adresse à des entreprises qui connaissent déjà le secteur, sinon le risque d’échec est très important, assure-t-il. D’autant, que dans ces entreprises en cessation de paiement, les fondamentaux ne sont plus là. Il est très difficile de remonter la pente si le repreneur lui-même ne possède pas une bonne expertise. »
Notons, toutefois, que la pérennité des reprises à la barre s’avère bien meilleure que celle des plans de continuation. Ces derniers échouent une fois sur deux à échéance de deux ans. « En plan de continuation, il faut pouvoir dégager suffisamment de rentabilité pour payer ses dettes, ce qui laisse peu de marges pour des investissements. En revanche, dans le cadre d’une cession, il est rare que les repreneurs connaissent de grandes difficultés », estime Xavier Huertas, administrateur judiciaire et président de l’Aspaj (association syndicale professionnelle d’administrateurs judiciaires). Au-delà d’un prix de cession assez bas, car reflétant les difficultés de l’entreprise, ce type d’opération comporte un autre avantage : le passif n’est pas repris, sauf cas très particulier. Seuls les actifs sont rachetés. Claude Ravon précise : « Toutefois une partie du passif social peut être repris. Dans le dernier dossier que j’ai suivi, nous avons subi beaucoup de pression pour reprendre la totalité des congés payés qui n’avaient pas été réglés ».
Au final, pour un repreneur aguerri, personne physique ou morale, et bien pourvu pécuniairement, racheter une entreprise en plan de cession peut se révéler être une bonne opportunité. « Souvent, au bout d’un an ou deux, vous retrouvez une capacité d’endettement semblable à une entreprise « normale » avec un bilan équilibré », assure Claude Cohen de Lara, repreneur de nombreuses sociétés à la barre et consultant en restructuration et reprise d’entreprise. « Une bonne entreprise à reprendre est celle qui a défailli parce que le dirigeant a failli. Il a pu commettre une ou plusieurs erreurs. Autre cas : si le client le plus important fait lui-même faillite, il s’agit alors d’une cause exogène. S’il est possible de redimensionner l’entreprise à une taille inférieure, un redressement devient alors envisageable. Il apparaît fondamental de bien comprendre pourquoi la société s’est retrouvée dans cette situation », poursuit-il.
La recherche des causes de l’échec de l’entreprise doit apporter une partie de la réponse à une question de première importance pour le repreneur : la société est-elle redressable ? Il est important de procéder à une analyse extrêmement froide de la situation de l’entreprise. Dans quel état se trouve son marché ? Est-ce que ses produits ont encore un sens ? Quel est leur qualité ? L’entreprise n’a-t-elle pas pris un trop important retard sur le plan technologique ? Quelle est la compétence du personnel ?
Mettre tous les atouts de son côté
Afin de rendre au tribunal un dossier de reprise valable, le repreneur et ses conseils doivent examiner de nombreux points. « Les diagnostics à mener sont les mêmes que pour une entreprise in bonis. Mais il y a des analyses complémentaires à effectuer liée à la cessation de paiement. Pourquoi l’entreprise a perdu de l’argent ? Est-ce que des mesures ont déjà été prises pour essayer de la redresser ? Combien coûtent ces mesures ? Est-il possible de financer un plan de licenciement ? Si je résilie le bail, en combien de temps je récupère le coût des indemnités de résiliation par les économies de loyer ? Il faut chiffrer le coût des remèdes et des effets bénéfiques», assure Thiery Bellot, expert-comptable de justice au cabinet Bellot Mullenbach et Associés.
En province, l’entreprise cible est dans un environnement dont il faut tenir compte. Il ne faut pas hésiter à mener un véritable travail de lobbyiste qui peut aussi être un moyen de récolter de l’information. L’administrateur est celui qu’il faut convaincre en premier même si, bien sûr, le juge peut donc aller à l’encontre de son avis. Chaque tribunal a ses pratiques. Avant de faire une offre, beaucoup de praticiens conseillent de se renseigner sur qui est le président, le juge-commissaire et sur leur influence. Si à Paris, les juges ont beaucoup de poids, dans d’autres tribunaux, l’administrateur fait souvent la loi.
Lors d’une audience en chambre du conseil, trois juges choisiront le repreneur à l’issu d’un « grand oral ». Trois critères importent : la faculté à pérenniser l’activité, le maintient de l’emploi et l’apurement du passif. « Il y a une certaine façon de se présenter à la barre du tribunal afin d’accréditer sa position. C’est un peu l’administrateur qui va faire la pluie et le bon temps car les juges n’auront généralement pas mené d’enquête », estime Patricia Guyomarc’h. C’est à l’administrateur d’apprécier la qualité et la personnalité du repreneur.
Si le candidat n’a aucune raison valable de faire mieux que l’ancien dirigeant, il ne sera sans doute pas retenu. « L’aspect social est très important. Nous sommes très sensibles à la possibilité du repreneur de reprendre le maximum d’emploi sans, bien sûr, qu’il ne s’agisse d’un leurre. Les projets doivent être cohérents. Nous regardons celui qui va reprendre le plus de salariés, le plus d’engagement sur des contrats en cours car la résiliation de contrats ou le licenciement pour motif économique vont créer du passif », précise Xavier Huertas.
« Concernant le nombre de licenciement, il n’y a pas de règle arithmétique. Lors de l’une de mes reprises, sur les cinq plans proposés au tribunal, le mien était celui qui comportait le plus de licenciement et c’est celui qui a été retenu in fine. J’avais un capital confiance au plan local et le personnel s’était prononcé en notre faveur. C’est du multicritère. Quant plusieurs candidats de bonnes qualité qui apportent de sérieuses garanties professionnelle et financières, celui qui paye le plus a tout de même beaucoup plus de chance de l’emporter », assure Claude Cohen de Lara.