L’avantage fiscal des donations avant cession remis en cause ?

30 janvier 2019

Isabelle Marie

Les lois de finances recèlent parfois des surprises, à savoir des dispositions que les professionnels du droit n’avaient pas forcément vu venir. Cela est d’autant plus vrai lorsque ces mesures font leur entrée dans le droit positif suite à un amendement.

Suite à un amendement d’origine parlementaire, et non gouvernemental, la loi de finances pour 2019 instaure une nouvelle procédure de droit, distincte de la procédure existante. Dans cette procédure, codifiée à l’article L 64 A du LPF (Livre de procédures fiscales), le motif fiscal exclusif est remplacé par un motif fiscal principal. Cette disposition concerne, notamment, les cessions d’entreprise au travers des opérations de donation/cession.

« L’irruption de ce nouveau dispositif dans le paysage fiscal oblige à repenser le bien-fondé de stratégies d’optimisation largement utilisée jusqu’à présent », explique Jean-François Lucq, directeur de l’ingénierie patrimoniale au sein de la Banque Richelieu. Comme l’indique ce dernier, les « simples » libéralités avec réserve d’usufruit au profit des donateurs ne devraient pas être concernées par ce nouveau texte.

Un risque d’une requalification fiscale

« Mais la question est plus délicate s’il s’agit de libéralités précédant de peu une cession du bien objet de la libéralité. En effet, la donation a pour conséquence de rehausser le prix de revient fiscal du droit donné, et d’effacer à due concurrence la plus-value latente sur laquelle le donateur aurait dû acquitter de l’impôt en l’absence de libéralité », poursuit Jean-François Lucq.

Il faut noter que jusqu’alors, toutes les tentatives de l’administration fiscale pour aboutir à une qualification des donations/cessions en abus de droit se sont soldées par des échecs, les tribunaux estimant, en effet, que l’intention libératoire excluait tout abus de droit.

« Sous l’emprise du texte nouveau, avec le but « principalement » fiscal, l’administration a toute latitude pour affirmer que l’économie d’impôt sur la plus-value est le but principal de l’opération, ce qui risque d’aboutir à une requalification fiscale très coûteuse pour le donateur », analyse Jean-François Lucq, de la Banque Richelieu.

Ce dernier précise bien que, comme la nouvelle législation n’entrera en vigueur  qu’à partir du 1er janvier 2020, les opérations de donations/cessions qui interviennent avant le 31 décembre 2019 restent donc soumises au régime aujourd’hui en vigueur.

« Pour les cessions d’entreprises qui se situent au-delà de l’année 2019, il convient de réfléchir à une stratégie alternative efficace. La piste principale de réflexion consiste sans doute à dissocier dans le temps la donation de la cession ; si un délai raisonnable (compris entre 3 et 4 ans) s’écoule entre les deux dates, il sera plus difficile à l’administration de plaider une cause principalement fiscale », explique Jean-François Lucq.

Le différé de paiement des droits de donation

Mais, ajoute-t-il, il faudra, dans l’intervalle, financer les droits de donation, alors que la cession n’interviendra qu’à un horizon plus lointain. Pour cela, et à condition de remplir les conditions légales, les donateurs pourront utiliser le mécanisme de faveur de différé de paiement des droits de donation pendant 5 ans, assorti du seul paiement des intérêts légaux sur le montant des droits, au taux de 0,5 % par an. « Au-delà de cette période de 5 ans, et si, entretemps, les titres n’ont pas été cédés, le paiement des droits sera fractionné sur 10 ans, paiement toujours assorti du taux d’intérêt légal », précise le directeur de l’ingénierie patrimoniale de Banque Richelieu.

Seule une décision du Conseil constitutionnel saisi par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pourrait remettre en cause ce texte. « En l’absence de décision du Conseil, la mise en œuvre de stratégies patrimoniales d’optimisation risque bien d’être soumise à l’arbitraire de l’administration, seulement tempéré par le contrôle du juge de l’impôt », conclu Jean-François Lucq.