Fabien Lim

14 octobre 2015

Isabelle Marie

""
Quelle est la nature des interventions d’Interactis ?

Notre métier est le conseil et l’intermédiation sur des affaires complexes et sous-performantes. Nous évitons d’intervenir lorsque l’entreprise se trouve au stade de la procédure collective, car, pour nous, le dossier est alors un peu tardif. En procédure collective, un administrateur et un mandataire sont nommés et ce sont eux qui gèrent le dossier. Nous travaillons donc généralement sur des dossiers d’entreprises sous-performantes avant qu’elles se trouvent en procédure. Nous sommes souvent mis en relation avec ces entreprises soit par l’intermédiaire du banquier qui voit la dégradation de l’activité, par l’expert-comptable ou par l’avocat.

 

Quel est, pour vous, le bon timing pour entrer dans un dossier ?

Pour nous la prévention est l’idéal, car nous pouvons alors dérouler notre méthodologie. Les procédures amiables, conciliation ou mandat ad’hoc, sont intéressantes pour agir d’autant qu’elles sont confidentielles. Il s’agit du cœur de notre métier. Il faut à la fois travailler avec le mandataire ad’hoc pour l’orienter vers les bonnes solutions et avec le dirigeant afin de lui faire comprendre ce qu’il peut se passer et quelles sont les solutions nous préconisons de mettre en place.

 

Les dirigeants anticipent-ils suffisamment les difficultés ?

Nous constatons, dans la grande majorité des cas, un manque d’anticipation des difficultés. Le dirigeant attend souvent le dernier moment pour réagir, il est parfois trop tard. Il est vrai que les dirigeants sont généralement optimistes et combatifs. Ils pensent qu’ils vont s’en sortir seuls et que les difficultés rencontrées sont passagères. Il leur est difficile d’admettre que leur entreprise traverse une passe difficile. Mais ces derniers doivent savoir que nous pouvons traiter certains points assez facilement et efficacement si l’on intervient suffisamment en amont. Cela se révèle plus compliqué ensuite et les marges de manœuvre sont plus étroites.

 

Comment s’articule votre travail aux côtés des autres acteurs du dossier ? Vous êtes un chef d’orchestre ?

Dans le cadre d’une entreprise en difficulté, il y a un microcosme qui est sensiblement différent de celui dans lequel évolue le chef d’entreprise habituellement. Le dirigeant n’a pas l’habitude d’être confronté à cet environnement : médiateur du crédit, mandataire ad’hoc, tribunal de commerce, administrateur judiciaire, créanciers, etc. Notre expertise tient notamment au fait que nous connaissons bien tout cet environnement. Nous côtoyons au quotidien les administrateurs et les mandataires de justice. Nous connaissons bien l’univers des tribunaux de commerce. Par ailleurs, nous travaillons avec des avocats spécialisés et compétents pour chaque type de dossiers. A titre d’exemple, selon le siège de l’entreprise, nous allons pouvoir conseiller le bon avocat qui aura les bonnes entrées auprès du président du tribunal de commerce. Nous allons pouvoir orchestrer et optimiser les éventuelles procédures. Nous sommes particulièrement aguerris pour ce genre de situation tout en conservant notre métier de base qui est le conseil en haut de bilan.

 

Pouvez-vous nous décrire la façon dont Interactis intervient auprès d’une entreprise sous-performante ?

Notre métier est vraiment l’intermédiation. Notre intervention est articulée en deux temps. En premier lieu, nous allons procéder à un diagnostic de la situation, à l’instar d’un médecin. Nous allons aider le dirigeant à y voir clair sur sa situation. Nous regardons les données analytiques, nous faisons une situation du bilan afin de comprendre la structure de la dette, les échéances, les raisons des éventuels retards de paiement, etc. Nous analysons ainsi le degré de gravité de la situation. Selon la demande, nous faisons une étude plus ou moins poussée. Cela mobilise une équipe pendant quelques jours pour les diagnostics rapides et jusqu’à deux mois de travail pour les situations les plus complexes.

 

Une fois le diagnostic posé, comment se poursuit votre action ?

A l’issue de ce diagnostic, nous formulons des préconisations. La deuxième phase de notre travail consiste en la mise en place de ces préconisations. A titre d’exemple, nous allons aider à la levée de dette et à la négociation des financements. Nous pouvons restructurer la dette en cours ou chercher des nouveaux financements si cela s’avère possible. Au niveau du capital, le cas échéant, nous pouvons organiser la cession d’activités sous-performantes. Nous pouvons également lever des capitaux, à savoir chercher un investisseur qui va apporter de l’argent pour nourrir un nouveau plan de développement. Par contre, il y a des sujets que nous identifions, mais sur lesquels nous n’allons pas intervenir, comme, par exemple, modifier une chaîne logistique qui fonctionne mal.

 

Êtes-vous amené à conseiller à votre client d’aller en procédure ?

Au niveau de la phase de diagnostic, et en fonction de la gravité de la situation, nous serons amenés à conseiller telle ou telle procédure. Si nous prenons la situation suffisamment en amont, nous pouvons conseiller un mandat ad’hoc ; dans certains cas, il faut se résoudre à aller en sauvegarde ou en redressement judiciaire, mais, dans la mesure du possible, nous préférons éviter ce dernier type de procédure. Si la situation d’un client se dégrade d’une façon telle qu’il faille aller en procédure collective, nous n’allons évidemment pas l’abandonner à ce stade. Par contre, nous n’entrons pas dans un dossier qui se trouve déjà en procédure collective, car il est trop mûr pour nous.

 

Peut-il être opportun pour une société en difficulté de céder l’une de ses activités rentables afin de tenter de se renflouer ?

Vendre une activité qui gagne de l’argent pour sauver ce qui va mal peut se concevoir, mais dans ce cas de figure, il faut vraiment être sûr de soi. Cette situation peut se présenter dans une entreprise qui fonctionne avec un réseau de restaurants par exemple. Nous avons vu des groupes céder ceux qui fonctionnent le mieux et, donc qui sont bien valorisés, afin de restructurer leur dette. Mais il existe un indéniable risque. Car en vendant les unités les plus profitables, vous dégradez votre compte de résultat. Si vous ne parvenez pas à relancer très rapidement, ce peut-être le début de la fin. Chaque situation est unique et notre diagnostic sera de toute façon fait sur mesure.

 

Quel est l’impact de la réforme du droit des entreprises en difficultés sur votre pratique ?

La réforme du droit des entreprises en difficulté n’a pas encore impacté notre travail de façon sensible, mais, dans certains cas, nous pouvons avoir un peu plus de marges de manœuvre. De nouveaux outils ont été mis en place qui permettent, il est vrai, de fluidifier les procédures.

L’application de la loi Macron aura surtout un impact sur les tribunaux de commerce et les administrateurs judiciaires, avec la spécialisation d’une dizaine de juridictions et le binômage des AJ pour les dossiers concernant les grosses PME et ETI. Les nouvelles dispositions devraient également favoriser l’adoption d’un plan de cession ou de continuation face à certains actionnaires parfois réticents, ce qui pourrait nous faciliter la tâche dans certains dossiers.

 

Il y a quelques mois, vous êtes intervenu auprès du dirigeant de Salés Sucrés. Quelle a été la nature de votre mission ?

Salés Sucrés, qui possède trois sites de production en Ile-de-France, propose des produits de snacking et des plats cuisinés, avec un positionnement haut de gamme, à des chaînes de supermarchés, des restaurateurs ou encore à des enseignes comme Cojean ou Monoprix Gourmet. Cette PME emploie près de 200 salariés et a réalisé un chiffre d’affaires 2014 de 32 millions d’euros.

La société s’est retrouvée en difficulté du fait de la perte de certains contrats et d’une érosion de ses marges en raison d’un contexte concurrentiel difficile. L’endettement était assez élevé. Le dirigeant avait fait nommer un mandataire ad’hoc et une partie de sa dette se trouvait sous moratoire. De plus, son passif social était relativement important et il ne parvenait plus à financer son BFR. Ce dirigeant avançait tout de même, mais difficilement. Toutefois, nous avons pu répondre à sa problématique dans de bonnes conditions.

 

Quelles ont été vos préconisations ?

Nous avons envisagé différentes options avec le dirigeant. Dans le même temps, il était approché par d’autres groupes en vue d’un rachat, dont Labeyrie Fine Foods qui s’est montré le plus intéressé. Mais demeurait une réelle difficulté : eu égard aux chiffres historiques et présents, la valorisation était très faible. Néanmoins, en établissant un business plan et un plan de développement solide et détaillé, l’opération prenait du sens pour un acquéreur potentiel. Notre savoir-faire a été de présenter au mieux une affaire qui était temporairement amoindrie.

 

Que recherchait Labeyrie dans cette opération ? Comment s’est conclue cette mission ?

Labeyrie voulait entrer en GMS sur les plats cuisinés, mais le groupe ne possédait pas le savoir-faire produit. Salés Sucrés disposait, pour sa part, des outils industriels et de la technicité. Labeyrie amenait la marque, le marketing ainsi que le poids du groupe qui permettait de mieux négocier. Nous avons donc aidé le dirigeant à bâtir ce projet. Nous avons cherché de la valorisation en partageant un projet. Nous sommes parvenus à une valorisation en adéquation avec les attentes du client. Plutôt qu’une cession totale, nous avons proposé une augmentation de capital et une cession d’une partie des titres. Le dirigeant est donc resté actionnaire et il va accompagner durant quelques années le groupe Labeyrie.