Vers une agence d’Etat de la transmission d’entreprises ?

30 juin 2009

Isabelle Marie

Face à l’échec avéré (en terme quantitatif) des politiques visant à accompagner la vague porteuse des dirigeants « papyboomers » et prétendument cédants de leur entreprise, j’avais projeté de vous faire part de quelques idées simples (et accessoirement peu coûteuses) pour « améliorer le tableau ». Mon souhait était (et reste toujours) de faciliter la vie et le moral tant des cédants que des repreneurs, en sécurisant des deux côtés ce parcours transitoire à haut risque individuel. Mais malencontreusement (pour moi) j’ai été « doublé » par une annonce (de plus) émanant d’une administration particulièrement zélée et dont la locomotive est cette fois-ci l’APCE.
Décidé à rester objectif, j’ai pris le parti d’adopter une méthode d’analyse très consensuelle, et qui consiste devant chaque proposition d’action (il y en a 4 principales) de me (vous) poser la double question suivante : est-ce nouveau, est-ce utile ? 

1re proposition
: édition de 10.000 exemplaires d’un luxueux kit d’information cédant et repreneur. Sur le contenu informatif, il n’y a rien à redire; c’est complet et « bien présenté ». Est-ce pour autant une nouveauté ? Certainement non, et cet avis ne constitue pas une surprise compte tenu de l’abondante littérature parue depuis 10 ans sur le sujet à la fois en librairie et à travers les « institutions » (CCI en particulier). Est-ce utile ? Non, dans la mesure où cela existe déjà, où la formule « papier » paraît un peu dépassée et où la méthode adoptée, très scolaire prend un peu les acteurs pour des apprenants peu doués. Dès lors, ce « Monopoly » apparaît bien coûteux (combien ?) et peu adapté .Conclusion : il vaudrait mieux investir dans la formation (il suffit de promouvoir celles qui existent) que dans un gadget ludique

2e proposition : création d’une base de repreneurs patentés. L’idée (fausse) sous-jacente est probablement de considérer que la transmission, c’est une affaire de mise en relation automatique entre deux mondes qui ne se rencontreraient pas autrement. Est-ce novateur ? La réponse est à la fois non (chaque professionnel ou club sérieux du domaine ayant investi beaucoup d’argent privé pour constituer sa propre base confidentielle de repreneurs qualifiés depuis bien longtemps), et oui car le fait que cette base soit à la fois publique, sélective et d’accès réservé à certains professionnels seulement est nouveau. Est-ce un outil utile ? Non parce que (encore une fois…) cela existe déjà, et non parce que cela ne marchera pas sous la forme proposée. 
Comment en effet un représentant de la puissance publique pourra-t-il à ce point s’ingérer dans la vie privée des gens en les fichant, comment pourra-t-il garantir l’impartialité des critères de sélection qui départageront les « bons » des « mauvais » repreneurs sans risque de procès en discrimination, comment pourra-t-il choisir( et donc écarter) les professionnels qui auront accès à ce fichier en introduisant de facto des distorsions de concurrence, comment gérera-t-il des conflits qui l’opposeront à ceux qui auront exploité des informations qu’il aura qualifiées lui-même d’ exactes et loyales. Conclusion : il serait plus judicieux de faire confiance aux professionnels et il serait plus efficace de créer des règles qui s’appliqueraient et s’imposeraient à tous les professionnels de l’ « intermédiation» et qui garantiraient ainsi leur probité et leur sérieux. 

3e proposition : création de « médiateurs » régionaux de la transmission chargés de faire le lien entre les repreneurs et les cédants. Avec cette idée supplémentaire la boucle est bouclée, l’État devient le grand faiseur du rapprochement d’entreprises patrimoniales, avec à la disposition de sa main invisible et infaillible d’un côté le fichier des repreneurs, de l’autre celui des cédants et au milieu des « agents de la relation »…. Ceci est à peu près aussi dangereux pour la démocratie, et aussi inefficace que si l’État montait demain une grande agence immobilière centralisée pour gérer la vente (privée) des logements des Français. Conclusion : la même que pour le point précédent.

4e proposition : 500 pré-diagnostics d’entreprises dont le dirigeant a plus de 50ans. Est-ce nouveau ? Non, les audits en tous genres existent depuis belle lurette et sont accessibles à tous les chefs d’entreprises qui le souhaitent. Est-ce utile ? Sur le fond, oui bien sûr, car les entrepreneurs sont insuffisamment préparés à la cession de leur affaire. Mais sur la modalité, encore une fois non : ce n’est pas à l’État d’imposer des solutions et des fournisseurs de service qui relèvent des libres choix de la sphère de l’activité privée. Conclusion : il serait plus normal et efficace de demander à l’Ordre des experts comptables de prévoir dans les missions permanentes de ses ressortissants l’évaluation systématique des sociétés de leurs clients , et ce, à partir d’un outil reconnu comme fiable

Conclusion de la conclusion ? Il est un fait que le libéralisme (mal appliqué) n’a pas bonne presse aujourd’hui, et qu’en conséquence l’État peut imaginer juste et efficace de se substituer aux acteurs privés d’un marché en dysfonctionnement. Mais attention au danger inverse qui consisterait à passer dans le domaine public la gestion de certaines affaires qui relèvent exclusivement du domaine de la vie privée. Je pense que la cession de la propriété d’une entreprise relève de cette dernière catégorie.
Qu’en pensez-vous ?
En revanche, je trouverais tout à fait naturel et légitime que l’État se préoccupe des règles de qualification et de déontologie des professionnels qui veulent agir sur le marché de la transmission d’entreprises. Je me range ainsi du côté de ceux qui pensent que pas assez d’État rend le capitalisme dangereux, et que pas assez de capitalisme rend l’État arbitraire.