La campagne des régionales aura au moins eu un mérite : celui de faire émerger un vrai débat sur la question des petites et moyennes entreprises (PME). Nous sommes en France, trop souvent habitués à l’alternative exclusive entre emploi salarié ou protection sociale or l’esprit entrepreneurial – combiné à l’accès au financement est aussi un aspect non négligeable de la résorption des inégalités de richesse. Cette question est cruciale. Depuis de nombreuses années, forums de discussion, commissions de partis politiques, Think-Tank, ou encore pôles de compétitivité tentent de faire émerger une prise de conscience collective. Mais il faut reconnaître la frilosité des politiques sur la question de l’innovation. En effet, aucun d’entre eux n’aborde les enjeux d’un tel débat même si l’on trouve quelques thèmes lancés comme des feux d’artifice au cours de cette campagne (Formation professionnelle, microcrédit, développement éthique, prêts à taux zéro, entrée au capital des PME).
En effet, depuis 50 ans, les mesures législatives et les aides de l’Etat ont essentiellement concerné les grandes entreprises. Intervenir sur les grandes entreprises est visible immédiatement. Intervenir, sur les petites entreprises souvent très différentes, relève d’une action à moyen terme, peu lisible. Car les gouvernements agissent essentiellement dans l’urgence et à court terme et ne mesurent donc pas forcément l’importance du soutien aux PME. Lorsque Renault ferme une usine en Belgique, la presse s’enflamme. Quand, dans le même temps, l’artisanat du bâtiment perd 150 000 emplois du fait de la crise de l’immobilier personne ne s’émeut.
Et pourtant les petites entreprises sont au cœur de notre économie. Elles sont même au cœur de notre République et de ses valeurs – liberté, égalité, fraternité.
> Liberté : la liberté d’entreprendre, la liberté du commerce et de l’industrie font partie des valeurs constitutionnelles de notre République. Elles remontent à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. C’est même cette liberté d’entreprendre qui a permis de fonder notre développement économique. Ce sont les entreprises qui créent la richesse. Pourtant, il est vrai que cette liberté d’entreprendre a besoin de règles pour ne pas disparaître.
> Egalité ensuite : l’entreprise est le câble principal le long duquel évolue l’ascenseur social. C’est là que se joue la promotion sociale, la lutte contre les inégalités de destin. Il y a bien sûr les carrières salariales dans l’entreprise. Mais il y a surtout l’entrepreneuriat. Et il n’y a pas que Microsoft. Il y a également tout le tissu des PME qui ont réussi. Sodebo par exemple, qui fabrique des plats cuisinés (pizzas …). Créée par un charcutier il y a 30 ans en Vendée, c’est maintenant une entreprise de 400 millions d’euros de CA, avec près de 2000 salariés. L’entreprise demeure, avec l’école, l’un des véritables lieux de transmission des savoirs ou des savoir-faire pour tous et toutes. En cela, elle concourt à l’égalité des conditions face au savoir. Elle n’est d’ailleurs pas assez reconnue pour cela, d’où la nécessité d’améliorer la validation des acquis professionnels.
> Fraternité enfin : notre société est une société du travail qui se caractérise par un cœur hyperproductif, pédalant de plus en plus vite, et de plus en plus étroit, et une périphérie de plus en plus grande, rejetée dans les marges du chômage et du sous-emploi. Il est nécessaire de casser cette logique destructrice pour société. L’entreprise est, avec la famille, le principal lieu de création de lien social et interpersonnel. De lien inter-générationnel aussi, comme en témoigne l’exemple séculaire du « compagnonnage ». Elle est aussi facteur d’intégration des populations de nos banlieues en difficulté.
Parce que les TPE/PME sont le réservoir d’emplois des économies, il faut un réseau très dynamique. En France par exemple, elles représentent 2.4 millions d’entreprises de moins de 20 salariés. Elles ont créé plus de 2 millions d’emplois en dix ans. Les entreprises de plus de 100 salariés ont détruit dans le même temps 1.2 millions d’emplois ! Cela devrait suffire pour que nos élus régionaux songent à les aider davantage. De plus les TPE/PME ont un impact positif sur le développement territorial parce qu’elles créent des emplois sur l’ensemble de l’hexagone et contribue ainsi à rééquilibrer l’activité économique. Partout ailleurs les grandes entreprises qui sont plus internationales, créées des emplois surtout à l’étranger. La répartition des activités économiques ne peut se concevoir qu’à partir d’un tissu de PME / TPE suffisamment dense, de la zone industrielle des petites villes aux « pôles de compétitivité » (cluster high tech Silicon Valley, distrito industrial italiens du meuble, du vêtement …). Mais le tissu PME/TPE, c’est aussi une autre version du capitalisme.
Une nouvelle entreprise créée après un vrai parcours du combattant et qui part chercher ses clients, qui recrute son premier employé : c’est en quelque sorte le capitalisme créatif.
La PME, que son dirigeant fait vivre de A à Z, des factures à payer jusqu’à la relance des clients : c’est le capitalisme entrepreneurial.
La coopérative ouvrière, dans laquelle les décisions importantes se prennent après un vote des membres, c’est une forme de capitalisme ouvrier finalement.
La mutuelle, dans laquelle les sociétaires sont les clients et partagent le « profit » sous forme de baisse de prix égale pour tous, est une forme plutôt aboutie du capitalisme social.
L’association de recherche qui collecte des fonds pour financer la recherche sur une maladie orpheline par exemple constitue un modèle de capitalisme associatif finalement.
Pour toutes ces raisons, le financement des PME n’est pas nécessaire, il est indispensable à la cohésion sociale. Quelques alternatives au monde bancaire traditionnel existent déjà en France : citons OSEO, le Crédit Coopératif, l’ADIE (association liée à la CDC, 2000 – 3000 projets par an), le réseau Entreprendre (1000 projets financés par an), les prêts d’honneur, les prêts de groupes solidaires, Eden… Ces initiatives prouvent le chemin restant encore à parcourir pour que les PME aient enfin accès aux services financiers.
Aujourd’hui, il faut aller plus loin dans nos analyses : ce n’est pas l’entreprise qui pose problème, c’est la régulation du nouveau capitalisme. Dans le cadre du capitalisme industriel d’hier, le modèle social français avait trouvé un équilibre – entre marché et Etat, production et redistribution, prospérité et justice sociale. Cet équilibre se résume en deux mots : Etat Providence. Or notre modèle social est aujourd’hui remis en cause par les mutations du capitalisme moderne. Cette déstabilisation de notre modèle est délicate pour les politiques qui ne savent plus comment y remédier, pour les citoyens qui la subissent, mais aussi pour les entrepreneurs. En effet :
Le capitalisme financier produit des inégalités croissantes : il faut plus de rendement pour le capital, donc moins de valeur ajoutée pour les salariés. Mais il déstabilise également ce faisant les petites entreprises, car ce sont en priorité les grands groupes qui ont accès aux marchés financiers.
Le capitalisme mondialisé génère des inégalités encore plus fortes : les salariés peu qualifiés, nationaux, sont mis en concurrence avec ceux des pays émergents. Les cadres des grands groupes qui organisent la mondialisation voient au contraire leurs salaires exploser – à travers les bonus, les stocks options, les welcome packages…Ces dérives ternissent l’image des entreprises qui sont pour l’essentiel ancrées dans des économies régionalisées sans réels contacts avec l’Inde ou la Chine.
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