Une nécessaire professionnalisation des repreneurs

7 janvier 2009

Isabelle Marie

Luc (36 ans) et Jean (46 ans), ingénieurs de formation, sont lassés de leur travail de chef de projet grand compte dans une grande entreprise. Ils décident de changer de vie professionnelle. La famille de Luc est amie avec un vendeur d’une entreprise de thermostat de 5 personnes, dont le dirigeant souhaite partir à la retraite. Luc et Jean sont candidats et rachètent cette entreprise en 2006. Comme le cédant est un ami de la famille, les procédures d’audit préalables au rachat vont très vite : ils disposent des bilans des années précédentes montrant une situation financière intéressante ; ils font confiance au cédant sur la composition du portefeuille clients ; ils se basent sur l’évaluation de l’expert comptable du cédant (qui devient leur expert comptable) pour déterminer le prix d’acquisition ; ils signent le protocole avec l’avocat du cédant.
Une fois l’accord signé, Luc et Jean sont officiellement présentés aux salariés et découvrent qu’une personne est en maladie longue durée depuis 6 mois. La transition entre le cédant et les repreneurs n’a pas réellement lieu, bien qu’elle avait été déterminée à l’oral pour une période de 6 mois. L’entreprise travaillait pour 3 grands clients de l’électroménager. Les repreneurs découvrent rapidement que l’un d’entre eux, asiatique, a cessé toute relation commerciale avec l’entreprise reprise. Une investigation rapide leur apprend des défauts de qualité dans les pièces fabriquées et livrées avant la reprise, entraînant un litige commercial conséquent et un manque évident dans le CA de l’entreprise. Cette perte conséquente entraîne le licenciement d’une salariée pour baisse d’activités 3 mois après le rachat, puis d’une seconde employée 6 mois plus tard.

Deux ans après le rachat, les repreneurs :
– n’ont donc plus qu’une seule employée à la production ;
– ont bataillé pour solutionner les problèmes de défection des produits fabriqués et vendus, mais n’ont toujours pas retravaillé sainement avec ce client asiatique ;
– sont définitivement en froid avec le cédant et en procès avec lui ;
– cherchent à diversifier le portefeuille client grand compte, mais le temps d’inertie pour leur prise de commandes est très long ;
– cherchent des solutions pour assainir la trésorerie de l’entreprise ;
– ne se rémunèrent pas ;
– tentent davantage de sauver la situation que d’appliquer leur Business Plan de reprise ;
– sont conscient et regrettent d’avoir négligé le processus repreneurial : ils auraient pu (dû) chercher une autre cible, ils auraient pu (dû) étudier la cible avec un regard et des conseillers neutres, de leur coté ; ils auraient pu (dû) davantage se prémunir contre les actes du cédant.

Cette histoire est catastrophique pour :
– les salariés, car deux d’entre eux ont perdu leur emploi ;
– les relations amicales du cédant ;
– les repreneurs qui se sont placés dans une situation de laquelle il leur est difficile de sortir ;
– l’entreprise dont la survie est menacée.

Cette histoire représente-t-elle un cas particulier ? Est-elle caricaturale du manque de préparation des candidats à la reprise ? Nous n’en sommes pas convaincues. Elle illustre la complexité de l’opération : de la préparation du processus repreneurial (processus de prise de décision, processus de reprise aboutissant à la signature, processus d’entrée dans la cible (incluant la phase de transition) à la transition avec le cédant, l’affectif joue beaucoup. Il est d’usage d’associer ces sentiments au cédant ; pourtant, bien souvent, les repreneurs font des choix aveuglés par le côté affectif de l’opération, manquant d’objectivité parce qu’ils sont « séduits » par la cible. Il serait facile de dire que les repreneurs de cette histoire avaient mal préparé l’opération. 
Toutefois, la réalité des opérations de reprises d’entreprise montre qu’il ne s’agit pas là d’un cas isolé. S’il existe une incitation dans les discours politiques ou institutionnels, on constate (1) l’absence d’aide en direction des repreneurs une fois l’opération réalisée ; (2) le désespoir de repreneurs qui se sont trompés sur leur projet personnel et professionnel ; (3) la remise en question de repreneurs qui ont des doutes sur l’entreprise reprise ; (4) la santé financière fragile de l’entreprise après la reprise ; (5) le besoin très net de la part des repreneurs d’échanger, d’être soutenus épaulés dans la démarche. 
Dans notre travail doctoral (2000), nous avions ouvert une brèche en montrant que les repreneurs avaient besoin d’accompagnement pre et post reprise, tout au long du processus qu’ils suivent, un accompagnement différent de celui exercé auprès des créateurs. Aujourd’hui, cet accompagnement spécifique correspond à un besoin exprimé par les repreneurs pour les professionnaliser dans leurs démarches et pour rompre la solitude du chef d’entreprise dans le contexte où ils ne sont pas à l’origine de l’entreprise reprise.
Plusieurs modalités d’accompagnement
Mais de quel accompagnement parlons-nous ? La période postreprise immédiate nous semble la plus importante. Elle conditionne le bien-être du repreneur dans son entreprise, sa manière d’assumer son nouveau rôle et le succès de la reprise. Son attitude déterminera l’adhésion des salariés à son projet qui deviendra une nouvelle entreprise. Plusieurs modalités d’accompagnement sont susceptibles de convenir au repreneur. Elles différencient l’accompagnement collectif de l’accompagnement individuel (coaching, parrainage, tutorat, expert). Ce qui importe c’est le rôle joué par une personne neutre, mais qui comprend le discours et les problématiques des dirigeants. 
L’accompagnement collectif, sous forme de clubs ou de communautés de pratiques, est sans doute profitable pour le repreneur dans un deuxième temps, quand les parties prenantes de l’entreprise ont oublié qu’il s’agissait d’une reprise et que le repreneur assume son rôle de dirigeant. Les rencontres de ces dirigeants aident aux dialogues et à l’échange sur des problématiques communes. La difficulté réside dans la mise en place de ces accompagnements, des acteurs qui pourraient y jouer un rôle, de leur coût, leur fréquence et leur durée. L’efficacité recherchée consiste à professionnaliser le repreneur sur tout le processus repreneurial.