Le marché de la transmission d’entreprise manque singulièrement de fluidité. Tout le monde en convient. Au niveau fiscal, l’essentiel des réformes a été réalisé. Des mesures d’une autre nature restent maintenant à engager. Sur ce plan, Hamid Bouchikhi, professeur en management et en entrepreneuriat à l’Essec, fait des propositions pertinentes et novatrices. Il a réalisé un travail que l’on peut qualifier d’important et qui ouvre la voie à des réformes qui pourraient changer la donne.
« La mise en place d’un cadre institutionnel contraignant est nécessaire au développement d’un marché où les bons vendeurs et les bons acheteurs ont une incitation positive à venir et où ils peuvent conclure des transactions, sans avoir l’impression de faire un grand saut dans le vide », souligne Hamid Bouchikhi qui explique qu’une bonne régulation est nécessaire au développement d’un vrai marché de la PME. Selon lui, « la régulation de la transmission réduirait les asymétries d’information entre acheteurs et vendeurs et réduirait, surtout, les conséquences néfastes que ces asymétries peuvent avoir pour les acteurs. La bonne régulation génère de la confiance chez les acteurs et leur permet d’exercer leur liberté de décision et de choix. Tant que ce cadre réglementaire manquera, la transmission de PME continuera à être marquée par le foisonnement actuel d’intervenants de toutes sortes et de pratiques où le meilleur côtoie le pire ».
Hamid Bouchikhi constate, qu’aujourd’hui, aussi bien les cédants que les repreneurs abordent le processus de transmission dans un état de méfiance. Il s’interroge : « Quels sont les éléments d’un cadre institutionnel susceptible de leur inspirer de la confiance et, par conséquent, faciliter l’entrée sur le marché et la conclusion de transactions entre acteurs n’appartenant pas aux mêmes réseaux sociaux ? »
Les propositions qui suivent, qui sont autant de pistes de réforme, sont extraites de l’article d’Hamid Bouchikhi, intitulé : « Réduire les asymétries d’information pour développer la transmission de PME ». Il fait parti des contributions de quarante universitaires au « Grand livre de l’économie PME ». Elles sont de trois ordres :
1 – Certification des intermédiaires
Aujourd’hui, la facilité d’installation et l’absence de normes donnent une mauvaise image des intermédiaires. Pour que les chefs d’entreprises et les repreneurs aient une image positive des intermédiaires et acceptent plus facilement de leur confier des mandats, acheteur ou vendeur, et de payer leurs services à leur juste prix, il faudrait qu’ils puissent leur faire confiance grâce à un mécanisme de certification ou d’agrément. À l’instar d’autres professions, les intermédiaires ont intérêt à créer une organisation professionnelle dotée d’un code déontologique et de procédures d’agrément. À défaut, la certification pourrait être impulsée par des organisations représentatives existantes ou des organismes consulaires.
2 – Certification de l’offre et de la demande
Pour favoriser la rencontre entre acheteurs et vendeurs sur un marché ouvert, il faudrait pouvoir certifier la qualité d’acheteur et la qualité de vendeur. La certification de l’offre et de la demande pourrait être confiée à des acteurs spécialisés, eux-mêmes certifiés, et ne pouvant en aucun cas être suspectés de conflits d’intérêts. À l’instar des centres de contrôle technique automobile, on pourrait imaginer des centres spécialisés dans l’audit et la certification des PME à vendre. Pour éviter les conflits d’intérêts, ces centres ne doivent pas vendre des prestations de conseil aux dirigeants des PME auditées ni intervenir dans le processus de vente.
La certification devrait inclure une estimation de la valeur de l’entreprise selon les principales méthodes d’évaluation. La certification de la demande consisterait à effectuer un bilan de compétences et à valider le parcours, les motivations, le projet et les ressources des repreneurs potentiels et apporter une appréciation sur leur dossier. Cette mission devrait être confiée à des professionnels qui, eux aussi, ne peuvent vendre d’autres prestations aux mêmes candidats repreneurs. La certification de l’offre et de la demande devrait être suffisamment onéreuse et exigeante pour dissuader les faux vendeurs ou faux acheteurs et doit être intégralement à leur charge.
3 – Un système de mutualisation du risque pour les vendeurs et les acheteurs
Aujourd’hui, les propriétaires de PME doivent concéder une garantie d’actif et de passif qui se traduit par le blocage auprès d’une banque d’une partie significative du prix de vente8. Cette pratique n’encourage pas les propriétaires à céder leur entreprise à un repreneur inconnu, car elle équivaut à « garder un fil à la patte » pendant toute la durée de la garantie et expose le vendeur au risque de perdre une partie importante du prix de vente.
Pour lever cette difficulté, les propriétaires devraient pouvoir s’assurer contre le risque de perdre une partie de la valeur de leur entreprise au titre des garanties d’actif et de passif. Ainsi, ils partiraient l’esprit libre et avec la certitude d’avoir tout mis en ordre, contre paiement d’une prime d’assurance. Le principe de mutualisation du risque devrait profiter, également, au repreneur. En effet, ce dernier engage dans l’acquisition d’une entreprise une partie importante, si ce n’est la totalité de son patrimoine, et contracte de surcroît des dettes. Or, en France, ce risque n’est absolument pas mutualisé.
À titre de comparaison, quand un fonds de capital investissement entre dans une entreprise non cotée ou quand une banque prête à une PME, l’un et l’autre peuvent assurer une bonne partie de leur investissement ou prêt auprès d’Oséo. Le repreneur individuel, quant à lui, est seul face au risque de la reprise. L’extension de la mutualisation du risque au repreneur est d’autant plus facile à mettre en place que les banques et les fonds d’investissement qui les accompagnent font systématiquement recours à ce mécanisme.
Dans un cadre institutionnel où les acteurs n’ont plus l’impression qu’ils ont un grand saut dans le vide et où ils sont mis en situation de pouvoir se faire confiance grâce à des mécanismes de certification et de garanties, la transmission de PME entre inconnus sera plus facile et pourra ressembler à un jeu à somme positive.