Bien souvent, c’est le cédant qui choisit son repreneur. À ce stade, quelle est l’importance du facteur humain et comment le repreneur potentiel doit-il aborder sa relation avec le cédant ?
La première rencontre est décisive. Il est vital de la soigner pour garantir des relations courtoises tout le long du processus. D’autant qu’il y aura des périodes difficiles. De la qualité de cette relation va dépendre la négociation finale et plus tard l’efficacité du transfert du pouvoir.
Pour cela, même s’il a été choisi par le cédant, le repreneur doit s’assurer de ne pas heurter lors des discussions. Il importe de le rassurer quant à la pérennité de l’entreprise et du sort des salariés pour lui permettre de vivre sereine son retrait. Car le cédant peut être très perturbé. Il perd son pouvoir, il perd son identité. C’est souvent pour lui l’heure des bilans tant sur le plan professionnel, familial que personnel et la prise de conscience du rapprochement de la retraite. Il a des difficultés à lâcher prise. Il peut exister un vrai décalage entre les deux. Il ne faut pas oublier que la moindre erreur relationnelle peut rompre les pourparlers, au risque condamner le projet, sans retour possible. Durant cette première étape, le facteur humain est donc vraiment déterminant.
Par exemple, il ne faut pas parler de la valorisation dès le premier entretien. Ce peut être rédhibitoire. Il est déconseillé d’entrer dans le vif du sujet. Il faut y aller en douceur. Le candidat repreneur doit dès le début faire preuve de beaucoup de psychologie, cultiver l’empathie à l’égard du cédant tout en conservant bien sûr une certaine lucidité.
Lors de l’accompagnement, que faire pour que ce couple provisoire cédant / repreneur fonctionne au mieux ? Quels sont les écueils à éviter ?
L’accompagnement est incontestablement utile, surtout pour un repreneur externe, car il va lui permettre de s’arroger des compétences du cédant et d’acquérir nombre d’informations qu’il n’aurait pas eues antérieurement. Mais la transition peut s’avérer aussi être d’une grande perversité. Elle se présente comme une période délicate qu’il convient de gérer en douceur, en prenant soin d’éviter toutes maladresses, susceptibles d’engendrer des conflits d’autorité, au pire des rivalités de leadership entre les deux hommes.
De toute évidence, cette coopération ne peut être concevable que s’il existe au moins une prédisposition à la confiance et un respect mutuel dès le départ afin que personne ne se sente menacé par la transition en cours. Si lors des négociations, les relations sont tendues entre le cédant et le repreneur, je pense qu’il n’est pas la peine d’envisager une période d’accompagnement. A titre d’exemple, j’ai étudié dans ma thèse 8 cas de reprise de PME en profondeur. Il ressort que dans 5 cas, la période d’accompagnement s’est très mal passée.
Le partenariat doit donc être accepté de « bon cœur » et négocié contractuellement. Dans le protocole d’accord, il s’agit donc de prévoir l’accompagnement dans les moindres détails ; plus précisément, régir les modalités de fonctionnement du quotidien afin de lever toute ambiguïté sur le plan du pouvoir. Il faut bien spécifier que c’est le repreneur qui est le dirigeant de l’entreprise.
Il s’avère aussi très important d’associer une échéance à cet accompagnement. Nous conseillons que cette période n’excède pas six mois, car il ne peut y avoir durablement deux patrons à la tête de l’entreprise, notamment aux yeux des salariés. Cela peut être difficile à vivre pour eux au quotidien. Dans le cas où le repreneur est du métier, ce délai pourrait être réduit à trois mois afin de favoriser sa marge de manœuvre. Pendant ces quelques mois de cohabitation, il vaut mieux avoir une présence non permanente et non régulière du cédant dans l’entreprise. Le personnel doit voir physiquement qu’il s’efface. Et, je déconseille fortement une intégration du cédant en tant que salarié de la nouvelle structure sur un ou deux ans. Ce peut être explosif !
Quelle doit être son attitude du repreneur à son arrivée à la tête de l’entreprise ? Quelles sont les erreurs à ne pas commettre ?
Le repreneur doit montrer qu’il est bien l’ « homme de la situation ». Il doit donner l’impression qu’il est sûr de lui alors qu’à vrai dire, il n’a ni repère, ni certitude au moment de son arrivée dans l’organisation. Beaucoup d’interrogations et doutes subsistent. Il est donc bénéfique de respecter un temps d’observation avant de procéder aux changements qu’il juge nécessaires pour bien comprendre tous les mécanismes de l’entreprise. Il apparaît vital de ne pas casser ce qui fonctionne dans l’entreprise. Il doit savoir capitaliser sur le travail précédemment accompli et s’imprégner de la culture de l’entreprise Il doit faire preuve d’humilité vis-à-vis de l’expérience des autres et être suffisamment diplomate pour rompre avec le passé sans inquiéter ni le cédant, ni les salariés. C’est un signe de respect du « vécu » de l’entreprise.
Il est clair que la conquête du pouvoir ne se fait pas du jour au lendemain. J’ai observé que la première année peut être découpée de la manière suivante : trois mois d’observation et de gestion quotidienne, puis trois mois de prise de décisions stratégiques modifiant l’orientation de l’entreprise. Ensuite les salariés attendent de voir si ces nouvelles orientations réussissent. Souvent, le nouveau dirigeant devient vraiment légitime aux yeux du personnel qu’au bout d’une année. Tout dépend bien sûr de l’état économique de l’entreprise et du contexte social dont il hérite.
Dans tous les cas, il ne faut pas qu’il se lance dans une course au développement trop rapidement même si, évidemment, il en a envie. Il ne peut se permettre d’arriver dans l’entreprise en voulant aussitôt tout révolutionner sous prétexte d’être le nouveau dirigeant. Cette attitude pourrait être perçue comme une forme d’arrogance et signe de « fausse modestie ». S’il n’adopte pas, ou pas bien, la bonne posture, ce nouveau patron peut souffrir de la « solitude du leader » contrepartie dont il est rarement conscient. S’il ne profite d’aucun soutien, la reprise va lui demander plus de temps et d’énergie, le retour sur investissement sera plus lent alors qu’il y a une dette senior à rembourser.
Le danger à ce stade de la reprise peut donc venir de l’impatience potentielle du repreneur : il peut avoir tendance à s’affirmer et à décider tout de suite plutôt qu’à s’appuyer sur l’existant pour mieux s’intégrer ou mobiliser.