« Sur plusieurs milliers de candidats repreneurs présents dans nos fichiers, très peu reprennent. Rares sont ceux qui se donnent réellement les moyens et mettent toutes les chances de leur côté pour reprendre une affaire. Selon moi, il y a 90 % d’échec ». Le constat est sans appel. Il émane d’un chargé d’affaires d’un important cabinet de rapprochement. Cette proportion très faible de repreneurs qui réussissent demeure une donnée mal connue. Elle ne doit certes pas décourager ceux qui souhaitent se lancer dans l’aventure, mais leur faire prendre conscience des difficultés inhérentes au processus de reprise. Les causes d’échecs sont nombreuses. Elles doivent être connues par le porteur de projet afin de pouvoir au mieux les juguler.
« J’ai l’exemple d’un candidat repreneur qui s’est focalisé sur un secteur étroit, le ferroviaire, où il n’y a que très peu d’entreprises à reprendre. Il s’est pris de passion pour un dossier, auquel il s’est beaucoup trop accroché et qui lui a finalement échappé au bout de 6 mois. Il a par la suite subi une dépression et a eu beaucoup de mal à rebondir. Un des risques assez courants est d’être véritablement aveuglé par une cible et dès lors de ne plus pouvoir se montrer objectif », explique Jean de Gibon, chargé d’affaires au sein du cabinet de rapprochement Intercessio.
> Garder plusieurs fers au feu
Il est vrai qu’aujourd’hui, du fait de l’étroitesse du marché et de la pénurie relative de cibles, lorsque le candidat repreneur met la main sur ce qui représente à ses yeux la perle rare, il lâchera difficilement prise avec le risque évident de ne plus voir les faiblesses possibles de l’entreprise et donc des causes d’échecs potentielles. « A l’inverse, et c’est une typologie très répandue de repreneurs, beaucoup s’intéresse à toutes les cibles dont ils entendent parler et ne parviennent pas à figer leur choix. Mais en regardant tout, on ne regarde rien. Ils restent trop dans le général », note Christine Corde, chargée d’affaires chez Intercessio. Le fait du butiner d’une cible à l’autre implique que le repreneur ne pourra qu’analyser de façon superficielle chacune des affaires et ne prendra pas le temps nécessaire pour tenter de convaincre le cédant. Tous les professionnels conseillent certes de garder plusieurs fers au feu, y compris lorsqu’une négociation semble bien avancée, mais ceci dans une certaine mesure.
Dans certains cas, le profil même du repreneur peut engendrer une situation d’échec. C’est le cas de cadres très brillants, experts en négociation, et qui ne se rendent pas compte qu’ils mettent le cédant dans une situation de faiblesse. « Il ne faut pas qu’il y ait de déséquilibre dans la relation repreneur – cédant », prévient Jean de Gibon. Certains repreneurs le sont par défaut. Ils constatent qu’ils n’ont pas de perspective d’évolution dans leur entreprise alors pourquoi pas la reprise. Mais un manque de motivation profonde constitue en soi un facteur d’échec. Le repreneur doit vraiment être conscient de ses forces et de ses faiblesses et caler ses recherches en fonction de son savoir-faire. « Il s’avère tout à fait profitable de faire un bilan de compétence poussée », reprend Jean de Gibon.
> Etre du secteur limite les risques
Selon une étude d’Oseo consacrée à la transmission des PME, réalisée en 2005 sur un échantillon représentatif de 3 000 dossiers garantis, si la formation du repreneur ne joue pas de rôle dans les facteurs de succès, en revanche la connaissance du secteur s’avère primordiale. En effet, un repreneur sans expérience du secteur voit les risques d’échecs augmenter de 50 %. Le chiffre est significatif. A l’inverse, une connaissance du secteur réduit le risque moyen d’échec de 10 %. « Un chef d’entreprise ne percevra pas avec la même acuité certains clignotants du fait qu’il soit du secteur ou non. Quel que soit le risque, il est beaucoup plus facile à gérer si le repreneur est du secteur. Si l’entreprise commence à se trouver en difficulté, il ne faut surtout pas hésiter à s’entourer de conseils. Sinon, on trouve à ce niveau une cause d’échec », explique Jean-Charles Simon, avocat chez Simon Associés. "Les cédants souhaitent vendre à celui qui est à leurs yeux le meilleur repreneur et c’est forcément quelqu’un du secteur. Etre du même secteur permet de connaître les bonnes portes auxquelles frapper, de savoir comment se développer, assure Jean de Gibon. Un repreneur venant du même secteur sera par ailleurs beaucoup plus crédible vis-à-vis des salariés ».
La situation professionnelle antérieure est également un point clé pour le succès de l’opération, soulignent les auteurs de l’étude d’Oséo. Ainsi, une fonction de dirigeant ou de gérant dans le même secteur diminue les risques de près de 40 %, alors qu’une simple expérience de cadre les augmenter de 14 %, toujours par rapport au risque moyen d’échec. Cette étude confirme que les transmissions familiales demeurent les moins risquées (un risque diminué de 70 %) ; à l’opposé, un repreneur extérieur à l’entreprise connaît un risque d’échec augmenté d’un quart.
> L’importance primordiale des audits
Nombre d’échecs post reprise sont consécutifs à des audits, et à un diagnostic, qui n’ont pas été assez poussé. Il s’agit même de l’une des causes principales d’échec. « Il apparaît vraiment très important de bien prendre son temps pour analyser et diagnostiquer la cible. Lorsque le repreneur n’est pas issu du secteur, il est préférable qu’il s’adresse à un professionnel du secteur pour l’aider à réaliser un bon diagnostic, poursuit Jean-Charles Simon, Beaucoup des repreneurs qui ont échoué ne sont pas posés les bonnes questions. Est-ce que l’activité est bien positionnée ? Un audit industriel permettra de vérifier si les machines sont fiables et suffisamment productives. Il faut certes investir dans les différents audits, mais ces derniers s’avèrent indispensables. » Jean-Charles Simon estime que 50 % des cas d’échec à 1 ou 2 ans après la reprise sont consécutifs à un manque d’anticipation d’un risque lors de la phase de diagnostic.
« De nos jours, nous assistons à de plus en plus d’échecs du fait d’un passif social ou environnemental complètement sous-évalué par le cédant. Le repreneur ne doit pas faire l’impasse sur les audits sociaux et environnementaux », renchérit Jacques Sounaleix, coordinateur de Limousin Entreprendre et référent national reprise . Une demande de mise en conformité environnementale par la DRIRE qui peut en effet coûter davantage que l’entreprise elle-même. « Beaucoup se sont également fait piégés par des actions aux prud’hommes, par la déclaration de maladies professionnelles ou encore par une pyramide des âges qui fait que deux ou trois cadres importants pour la structure partent à la retraite peu de temps après la reprise. Il est important d’effectuer un diagnostic social et humain de la cible", poursuit-il.
Une autre grande cause d’échec est directement liée au financement. « Ces dernières années, nous constatons une tendance à la survalorisation des entreprises en bonne santé, souligne Jean-Charles Simon. Certains secteurs sont assez normés, mais pas tous. Les financements deviennent de plus en plus tendus. Chaque jour, j’ai connaissance d’entrepreneur repreneur qui ne peuvent plus rembourser leur dette bancaire. Cela résulte d’une mauvaise anticipation des conditions de remboursement. Je pense que sur cette année, nous allons voir de plus en plus de LBO défaillants. » Il existe bien un risque spécifique aux transmissions. Si le taux de défaillance ne s’élève qu’à 5 % deux ans après l’opération, il atteint 21 % six ans après. « Les entreprises restent fragiles tant que la dette « stérile » liée au financement de la reprise n’est pas remboursée », souligne l’étude.