Juridiquement, le repreneur intéressé par une société a deux options : reprendre uniquement le fonds de commerce ou racheter la structure dans son intégralité. Chaque formule présente des avantages et des inconvénients.
« Dois-je reprendre uniquement le fonds de commerce de l’entreprise ou racheter la structure juridique, autrement dit les titres sociaux ? ». C’est en ces termes que se pose la question du mode juridique de reprise pour les candidats qui ciblent une PME ou une PMI exploitée sous forme de société. Pour tenter d’y répondre, encore faut-il savoir ce qui différencie fonds de commerce et structure juridique. Quelques éclaircissements s’imposent.
Le fonds de commerce, fonds artisanal ou fonds d’industrie représente l’actif de l’entreprise cible. « C’est le contenu de l’activité », schématise Sabrina Losio, juriste à l’agence pour la création d’entreprises (APCE). Il correspond en effet à l’ensemble des éléments qui permettent d’exercer l’activité. « Il comprend des biens corporels (matériel, machines, marchandises, agencement, véhicules…) et des biens incorporels (clientèle, droit au bail, marques, brevets, licences, autorisation administrative…) », énumère Claude Ravon, avocat spécialisé dans les fusions acquisitions au cabinet La Boétie. Les stocks font également partie du fonds, contrairement à l’immobilier qui en est exclu. « Mais ils sont généralement traités séparément à cause de la TVA », précise Claude Ravon.
La structure juridique désigne le cadre légal dans lequel l’activité est exploitée : entreprise individuelle, société à responsabilité limitée (SARL), entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), société par actions simplifiée (SAS), société anonyme (SA)…
« En d’autres termes, c’est le contenant », indique Sabrina Losio. Contrairement à l’entreprise individuelle qui forme une seule et même personne avec son dirigeant, une société – quelle que soit sa forme – est une personne morale distincte de ses associés. Elle possède donc son propre patrimoine. Ainsi, le fonds de commerce lui appartient. « Les associés, quant à eux, sont propriétaires de titres sociaux (parts sociales ou actions) reçus en échange de leur apport. Ils peuvent céder leurs titres, mais n’ont, à titre personnel, aucun droit de propriété sur les actifs de la société », explique Sabrina Losio.
Moralité : en rachetant le fonds de commerce, le repreneur acquiert uniquement l’actif de la société cible. Tandis qu’en rachetant les titres, il récupère également le passif. « En plus du fonds de commerce, il reprend donc tout ce qui se trouve au bilan (immobilisations, garanties, disponibilités en banque, compte client, capitaux propres, dettes…) », détaille Christophe Thévenet, avocat au barreau de Paris (cabinet Catala-Thévenet). Dans ces conditions, quelle est la meilleure option ? Difficile de trancher, car chaque formule présente ses avantages et ses inconvénients.
La reprise du fonds seul
Principal intérêt de reprendre le fonds : la cession portant uniquement sur les éléments d’actifs, les dettes restent à la charge du cédant. « Dans ce cas de figure, on sait précisément ce que l’on achète. Il n’y a donc pas de risque de mauvaises surprises ! », explique Christophe Thévenet. « Cela revient à opérer une coupure avec la gestion historique de la société. Le repreneur part d’une feuille vierge », complète Sabrina Losio. Le fonds peut en outre servir de garantie bancaire.
Revers de la médaille : la répercussion sur le prix de vente. En excluant le passif de la transaction, le repreneur s’expose en effet à devoir débourser davantage. Il faut savoir aussi que ce type de reprise est très encadré par la loi et soumis à un formalisme important. « Il nécessite un acte de vente écrit comportant des mentions obligatoires" explique Sabrina Losio. Et de mettre en garde : « chaque mot compte. Il est donc essentiel de faire appel à un avocat spécialiste de la cession de fonds ». L’acte doit ensuite être enregistré au service des impôts du lieu d’exploitation de l’activité. « La vente fait en outre nécessairement l’objet d’une publication dans un journal d’annonces légales ainsi qu’au Bodacc (bulletin des annonces civiles et commerciales) », ajoute Christophe Thévenet. Une procédure lourde, mais qui garantit une certaine protection juridique aux parties. Autre contrainte propre au rachat d’un fonds : le prix de vente est séquestré pendant 3 à 5 mois. « Une situation gênante si le cédant souhaite être payé immédiatement », observe Christophe Thévenet.
Le rachat des titres sociaux
Acquérir la propriété des titres sociaux présente aussi des atouts. Le passif peut certes faire peur au repreneur. Mais il représente l’historique de la société. « Le repreneur bénéficie ainsi de l’antériorité des crédits de l’entreprise et des bonnes relations qu’elle a pu nouer avec les différents partenaires (fournisseurs, sous-traitants, prescripteurs…). De même, les relations avec la clientèle sont facilitées puisqu’il n’y a pas de changement de structure juridique », souligne Sabrina Losio.
Côté formalisme, les règles encadrant le rachat de titres sont également plus souples. « Les parties ont davantage de liberté dans la rédaction de l’acte de vente », indique Christophe Thévenet. Pour autant, le recours à un professionnel du droit est vivement recommandé, notamment pour la clause de garantie de passif. En effet, en rachetant les titres, le repreneur ne sait pas avec certitude ce qui se cache derrière la société. « Le bilan peut par exemple comporter des inexactitudes, ne pas faire apparaître certaines dettes », explique Christophe Thévenet. C’est là que réside le risque majeur de racheter les titres comparé à la reprise du fonds. « D’où la nécessité de mener des audits approfondis (social, fiscal, juridique, comptable, environnemental) préalablement à la reprise et de prévoir une garantie de passif », poursuit-il. Cette dernière permet au repreneur de se prémunir contre un éventuel vice-caché en faisant supporter au cédant, pendant 3 à 5 ans, les conséquences des décisions prises du temps où il dirigeait la société.
Mais en pratique, le repreneur est rarement libre de choisir entre l’une ou l’autre formule. En effet, il est peu fréquent de voir des dirigeants de sociétés proposer un fonds de commerce à la vente de manière isolée. « On rencontre le plus souvent ce type d’opération dans le commerce. Et parfois dans les services ou l’industrie, quand le dirigeant souhaite céder une branche autonome d’activité afin de réinvestir le produit de la vente dans d’autres activités », note Christophe Thévenet. Force est de constater que la plupart du temps, ce sont les titres sociaux de la société qui sont mis en vente. Le repreneur doit alors choisir : acheter les titres aux associés en son nom personnel ou via une société holding créée à cet effet. Dans 90 % des cas, c’est le deuxième montage juridico-financier, appelé LBO (de l’anglais « Leverage Buy-Out »), qui est privilégié.
De l’intérêt de reprendre via une holding
La technique est la suivante : le repreneur créé une société holding (SARL, SAS…) qui a vocation à prendre une participation majoritaire dans la société cible. Il verse son apport personnel à la holding, laquelle va contracter un emprunt bancaire pour financer le reste du montant de l’acquisition et acheter les titres de la société cible. Ce montage a un double intérêt, financier et fiscal. « D’une part, la holding va pouvoir rembourser l’emprunt grâce aux dividendes tirés de la société d’exploitation. A condition, bien sûr, que cette dernière dégage suffisamment de bénéfices… », explique Sabrina Losio. « D’autre part, il sera possible d’établir une seule déclaration fiscale à l’impôt sur les sociétés au nom des deux sociétés, sous réserve que la société holding détienne au moins 95 % du capital social de la société d’exploitation », poursuit-elle. Résultat, la charge d’emprunt sera imputée sur les bénéfices de la société cible, ce qui permettra de réaliser une économie d’impôt !
Le sort des contrats en cours
Le sort des contrats en cours diffère selon que la transaction porte sur le fonds de commerce ou sur les titres sociaux. « C’est un point important qui véhicule beaucoup d’idées reçues », pointe Claude Ravon, avocat au barreau de Paris (cabinet La Boétie).
En cas de reprise du fonds de commerce, seuls les contrats de travail, les contrats d’assurance et les contrats d’édition sont automatiquement transférés. « Le repreneur devra donc négocier la continuité des autres contrats (clients, fournisseurs, sous-traitants…) avec les cocontractants avant la reprise s’ils souhaitent les poursuivre », indique Claude Ravon.
En revanche, si le repreneur rachète la société (les titres), tous les contrats en cours conclus pour l’exploitation de l’activité sont transférés exception faite de ceux qui contiennent une clause intuitu personae. « Il convient donc de procéder à un audit des contrats », conseille Claude Ravon.