Je vous avais promis il y a quelques mois de revenir vers vous, afin, publiquement, de proposer « autre chose », de simple, de pragmatique et à coût nul pour l’État.
Hamid Bouchikhi, en obtenant « Le grand prix de l’Économie PME », et parce qu’il a su envisager la problématique de la transmission par le « bon angle », celui de la psychologie, me donne l’occasion que j’appelais de mes vœux. Grâce à son travail de conceptualisation sur l’asymétrie d’information, toutes les discussions que nous avons menées ensemble depuis 4 années à l’ESSEC, au sein de l’Institut de la Transmission d’Entreprise (ITE), trouvent une assise théorique forte.
À partir de cette base, il nous faut « transformer l’essai », et passer de la théorie éclairée à la pratique immédiate.
La fiscalité, les bases de données et le libéralisme n’ont pas changé la donne
– Pensant que le ressort manquant dans l’engrenage était la fiscalité, les efforts principaux ont porté sur la baisse de tous les impôts (plus value et ISF) susceptibles d’entraver le « papy-boom ».
– Pensant que le marché manquait de « fluidité » et de transparence, il a été décidé par ailleurs de consacrer des budgets importants à la création de bases de données (CCI, OSEO, APCE…) qui mettraient au grand jour l’ensemble de l’offre.
– Pensant que le libéralisme (à travers l’organisation d’une « place de marché » virtuelle) adapterait automatiquement l’offre à la demande, on a laissé faire, en oubliant (consciemment) de réguler, de « certifier » (dirait Bouchikhi ) les acteurs et les outils de l’opération complexe qui accorde un repreneur et un cédant.
Aujourd’hui le constat est sans appel : même si on met entre parenthèses les effets de la crise, le nombre de transmissions, non seulement n’augmente pas, mais en fait recule.
La vraie cause de difficulté : l’insécurité
La principale source de difficulté de la transmission d’entreprises patrimoniales vient du manque de confiance et de sécurité des parties prenantes qui conduit à un marché de dupes. Du côté du cédant on ne dit pas tout sur la situation réelle de l’entreprise et sur sa valeur ; en réaction le repreneur, qui se méfie, demande des garanties juridiques excessives et ne dit pas tout sur sa véritable « qualification » et sur sa capacité financière. Cet état de fait engendre défiance, négociation houleuse avec, pour finir, soit la rupture prématurée des pourparlers, soit un accompagnement tendu et incomplet qui peut lui-même déboucher sur l’échec de la reprise.
Du côté des conseils, soit on a peur de perdre son client et on a tendance à enjoliver la réalité (expert comptable cédant) ce qui rend toute négociation impossible, soit on craint le risque encouru et on surprotège (avocat et expert comptable du repreneur), soit on veut forcer l’affaire et on pousse à la concrétisation au-delà de l’intérêt réel des parties (intermédiaire).
Pour en finir avec cette « valse-hésitation », dommageable pour l’entreprise (et donc l’emploi), et préjudiciable aux finances publiques, il est absolument nécessaire d’accepter l’idée de régulation.
Sécurisation des parcours, professionnalisation du marché, 3 mesures simples et d’effet immédiat qui vont changer le marché
1 – La « certification » de l’offre et de la demande. Quand un marché vit dans l’insécurité, c’est-à-dire avec le doute sur la qualité véritable du produit vendu et sur la réelle capacité de celui qui souhaite l’acquérir, il ne peut pas fonctionner. C’est ce que nous rappelle Hamid Bouchikhi. Il est donc indispensable de surmonter cette difficulté majeure. Mais comment ?
– Une base de volontariat : aucun acteur ne sera contraint de se certifier ; en revanche, tous ceux qui accepteront de l’être bénéficieront de facto de la sécurisation de la transaction
– Des repreneurs formés et responsables : chaque candidat à la reprise pourra bénéficier d’une formation adaptée, formation qu’il choisira sur la base d’une liste agrée par les pouvoirs publics ; par ailleurs, les repreneurs « agrées » accepteront de remplir une « fiche projet » qui les engagera notamment sur la réalité de leur capital disponible.
– Des cédants « évalués » au juste prix : chaque entreprise à céder pourra faire l’objet d’un diagnostic d’audit à la fois qualitatif et quantitatif, sur la base d’un outil agréé et concluant sur une fourchette de prix « raisonnable ». Dans cet esprit je propose de mettre à disposition (des professionnels qui auront à mettre en œuvre cette mesure) et d’élargir l’expertise du modèle Valentin®, outil statistique opérationnel reconnu depuis 4 ans en libre service sur internet ( 30 000 visites mensuelles contrôlées OJD)
– Des outils juridiques adaptés. Il serait sain que la profession du droit propose un cadre formel minimal (lettre d’intention, protocole, garantie d’actif-passif) qui servirait d’outil de référence pour la négociation juridique de la transmission.
– Des intermédiaires agréés et donc reconnus : l’obligation d’adhérer à une organisation professionnelle, qui fixe des règles et une déontologie doit être rendue obligatoire (ce qui n’est pas le cas actuellement). Cela éviterait les « dérapages » mais aussi la reconnaissance du travail accompli et de sa contrepartie pécuniaire.
2 – Les contreparties pour ceux qui accepteront la certification
– Des repreneurs « protégés » par une assurance individuelle : tout repreneur qui sera passé par une formation agréée, et qui acquerra une société ayant elle aussi accepté un audit référent bénéficiera d’une assurance à 100% sur son prêt d’acquisition, ne fera l’objet d’aucune demande de caution personnelle, et verra sa formation remboursée.
– Des cédants « protégés » sur leur garantie de passif : tout cédant qui aura accepté de se soumettre aux conclusions de l’audit référent, à la mise en œuvre d’un accord juridique conforme au cadre minimal fixé par la profession du droit, et à un accompagnement minimal du repreneur bénéficiera d’une garantie de passif assurable à 100%
3 – Le « bonus » emploi comme accélérateur
L’État qui recherche, à travers une politique réussie de la transmission, la préservation et le développement des emplois pourrait «alléger» le prêt d’acquisition du repreneur selon une modalité très simple de bonus à l’emploi. On pourrait par exemple prévoir un forfait de 20.000 € (à affiner) par emploi nouveau créé et maintenu pendant au moins 5 ans à la suite d’une transmission
Voilà ce que je souhaitais dire depuis des années à tous ceux qui s’intéressent et agissent pour l’amélioration du « marché » de la transmission. J’espère que cette fois-ci, la conjugaison d’une réflexion universitaire et de la conviction d’un observateur-acteur attentif permettra de « bouger les lignes ».
En tous les cas, nous sommes disponibles pour aller au bout de nos idées !