Marie-Josée Bernard

29 mars 2010

Isabelle Marie

""Que faire pour que la délicate relation entre le repreneur et le cédant se passe bien ?
La relation cédant – repreneur est avant tout une affaire de confiance réciproque. Le cédant vend rarement sur des critères uniquement financiers, c’est-à-dire au plus offrant. On se trouve à ce niveau dans le symbolique et l’émotionnel de l’attachement à la création de l’entreprise. Si le repreneur et le cédant se trouvent dans des univers mentaux culturels et psychologiques trop éloignés, la rencontre ne se fait pas. Il vaut mieux renoncer pour de bonnes raisons que de s’acharner pour de mauvaises. Il est essentiel de créer un cadre relationnel de qualité. Les futurs repreneurs doivent prendre le temps d’écouter et d’aller à la rencontre de l’autre. Il est fréquent, qu’après des mois de travail, au dernier moment le cédant décide de ne plus céder. Selon moi, de telles situations surviennent car, en amont, le travail nécessaire n’a pas été mené. Les acteurs ne se soucient pas assez du manque de clarté qu’il peut exister quant aux intentions et aux projets des uns et des autres. Les repreneurs et leurs conseils ne cherchent pas assez à mesurer les moteurs internes. Je pense que les dirigeants sont véritablement prêts à céder lorsqu’ils ont un projet derrière. Car il y a une dimension émotionnelle très forte. Il y a la notion de la perte à venir qui n’est pas facile à gérer pour eux.

Lors de la phase d’étude de la cible, quels sont les points à ne surtout pas négliger ?
Les repreneurs sont souvent focalisés sur les dimensions technique et financière de la cible ainsi que les aspects gestion et comptabilité. Ils ne prennent pas assez en compte la dimension humaine de l’entreprise. De ce fait, ils ne découvrent que bien après certains cadavres restés dans les placards. J’ai nombre d’exemples de reprise dans lesquelles les hommes clés ont fait défaut lors du changement de direction ou peu après, ce qui a entraîné l’échec de l’opération ou du moins a empêché la possibilité d’un développement.

Mais le cédant n’ouvre pas toujours totalement les portes de son entreprise avant la signature…
Si le repreneur est véritablement intéressé par une cible, il faut qu’il mette toute son énergie à convaincre le cédant de pouvoir rencontrer les salariés. Si l’acheteur ne voit le personnel qu’au moment de la signature, cela peut être trop tard. Le repreneur doit prendre le temps de capter, de ressentir et donc de rencontrer les personnes. Pour ce faire, il faut apprivoiser le dirigeant afin qu’il accepte que le repreneur pénètre dans l’entreprise avant même la signature du protocole d’accord. Le repreneur doit également tenir compte de l’entourage proche du cédant, épouse et enfants, qui peuvent être au final les décisionnaires. La dimension psychologique de la reprise est donc tout aussi importante que sa dimension financière. Pour se préparer à une bonne négociation, il faut se mettre dans la peau du cédant. Le repreneur achète la possibilité de développer un projet et pas uniquement un prix.

Repreneur et cédant se comprennent-ils quant à la notion de valorisation ?
Le rapport à l’argent, c’est le rapport à la représentation de la valeur. Comment se représente-t-on la valeur de l’entreprise ? Chacun a une représentation différente de la valeur de « l’objet ». Les repreneurs trouvent toujours que la cible est trop chère. Mais quand eux-mêmes vont revendre dans quelques années, ils voudront également valoriser toute l’énergie qu’ils y ont consacrée, tout le temps et toutes les compétences qu’ils y ont consacrés. C’est pour cette raison que j’essaie d’amener les repreneurs à se projeter dans des postures différentes.

Quelle doit être l’attitude du repreneur, devenu patron, lors de ses premiers jours à la tête de l’entreprise ?
La légitimité du repreneur ne se fera que dans le temps, mais il y a toutefois des actes qui seront des accélérateurs. Dès les premiers jours, il est nécessaire que le repreneur envoie des messages très forts collectifs et individuels. Il faut du rituel, comme marquer collectivement l’intérêt que l’on porte à l’entreprise avec une célébration qui montre que le nouveau dirigeant est heureux d’être là. Il lui faut alors se positionner comme leader. Dire, par exemple : « J’ai choisi cette entreprise pour telle et telle raison, et voici mon projet ». Il est bien qu’il livre aux salariés sa vision de l’avenir, sans forcément entrer dans les détails. Il apparaît également important que le patron se déplace au sein de l’entreprise sur les différents postes de travail. Il faut envoyer le signal suivant : « je suis engagé, je compte sur vous, vous êtes importants pour moi. » Il est important qu’il soit sur le terrain tout de suite. Si la production débute à 7 heures du matin, il devra être là à 7 heures du matin. La difficulté est de savoir s’affirmer dans la légitimité tout en étant dans l’humilité, sans arrogance. Par ailleurs, il est vivement conseillé de se mettre en relation très rapidement avec les clients. Il y a un processus d’appropriation de ce nouveau statut du chef d’entreprise.