En signant une garantie d’actif et de passif, le cédant s’engage à indemniser le repreneur en cas d’augmentation de passif ou de diminution d’actif postérieur à la cession, mais ayant une origine antérieure. Sauf situation exceptionnelle, l’acquéreur doit donc l’exiger.
« Quand on achète une entreprise, on n’est jamais sûr que le bilan comptable et les déclarations fournies par le cédant, censés donner une photographie fidèle de l’entreprise et de son patrimoine, correspondent exactement à la réalité. Il peut y avoir un décalage », explique Philippe Beauregard, avocat spécialisé en fusions-acquisitions, associé au cabinet Brunswick. Il arrive ainsi que des éléments d’actifs soient surévalués ou que des dettes n’apparaissent pas dans les comptes, soit que le vendeur ait omis de les y inscrire en toute bonne foi, soit qu’il les ait volontairement soustraites. Plus généralement, une augmentation de passif ou une diminution d’actif inconnue au jour de la cession peut survenir postérieurement à celle-ci et avoir une origine antérieure. « Prenons l’exemple d’un repreneur qui décide d’acquérir une entreprise employant 20 personnes, mais dont les déclarations sociales (Urssaf et autres) ne sont, de fait, pas en conformité avec la réalité du personnel recruté, explique François-Xavier Charvet, avocat spécialisé en droit des sociétés, associé au cabinet Charvet-Gardel. Cinq mois après la cession intervenue le 31 décembre 2005, l’administration procède à un contrôle. Elle constate qu’au cours des années 2003 et 2004, des charges sociales n’ont pas été réglées convenablement au barème et notifie un redressement à la société. Dès lors, à défaut de garantie d’actif et de passif, le nouveau propriétaire de la société sera contraint d’allouer les fonds indispensables au paiement de ce contrôle d’Urssaf ». Un redressement fiscal, une action en justice intentée par un ancien salarié ou par un client… sont autant d’autres événements susceptibles de mettre à mal la rentabilité de l’entreprise et de déprécier la valeur des titres cédés alors qu’ils se rapportent à la période où le cédant dirigeait l’entreprise.
Un point majeur des négociations
En droit français, il existe certes des garanties légales attachées à la formation du contrat. « Le code civil distingue trois vices du consentement : l’erreur sur la chose ou sur le prix, le dol qui se définit comme un comportement ayant pour but d’induire le repreneur en erreur et enfin la violence », détaille Philippe Beauregard. Mais ces garanties sont difficiles à mettre en œuvre. D’où la nécessité de prévoir des garanties conventionnelles, appelées garanties d’actif et de passif, afin de se prémunir contre les mauvaises surprises. « Dans ce document, le vendeur garantit à l’acquéreur de rembourser à la société toute augmentation de passif, ou les conséquences de toute diminution d’actif qui apparaîtraient après la vente, mais dont la cause ou l’origine serait un fait ou un événement antérieur à la date de cession et qui ne ressortirait ni des déclarations qu’il a pu faire lors de la vente, ni du bilan qui a servi de référence », reprend François-Xavier Charvet. De quoi sécuriser le repreneur.
D’ailleurs, cette garantie, marginale il y a encore 30 ans, constitue aujourd’hui un point majeur des négociations. « Depuis les années 1980, rares, pour ne pas dire exceptionnelles, sont les ventes qui interviennent sans la régularisation d’un acte de garantie d’actif et de passif », observe François-Xavier Charvet. Alors, dans quel cas est-il envisageable de s’en passer ? « Lorsque le cédant conserve une participation dans le capital ou encore quand le repreneur connaît parfaitement l’entreprise parce qu’il en est par exemple le salarié ou un partenaire de longue date (client, fournisseur…) », répond Philippe Beauregard. A noter que les cessions de fonds de commerce ne sont pas concernées. « La garantie s’applique exclusivement à l’achat d’entreprises ayant une forme sociétaire, c’est-à-dire à l’achat de parts sociales ou d’actions », précise Éric Moya, expert-comptable à Arles.
Reste que pour être pleinement efficace, la convention de garantie d’actif et de passif doit être soigneusement rédigée. « Il est souhaitable de recourir à un professionnel puisque c’est son contenu qui va représenter l’engagement pris par le cédant », conseille Éric Moya. Une attention toute particulière devra être portée aux clauses sensibles : bilan de référence, durée de la garantie, seuil de déclenchement, franchise et plafond, mise en œuvre, modalités de paiement…
Un plafond fixe ou dégressif
S’agissant du bilan servant de référence à la garantie de passif, deux options possibles. « Soit, la cession intervient quelques semaines après l’arrêté des comptes sociaux déposés au greffe du tribunal, auquel cas ce sont ces documents qui seront annexés au texte même de la garantie. Soit, elle a lieu au-delà d’un délai de 2 ou 3 mois et dans ce cas, le cédant fera établir des comptes intermédiaires », explique François-Xavier Charvet.
La durée, quant à elle, est librement fixée par les parties. Mais il est illusoire d’exiger un engagement du cédant sur une période trop étendue. « En pratique, la garantie est le plus souvent calquée sur les délais de prescriptions fiscale et social : elle porte ainsi sur l’année en cours, plus les 3 exercices antérieurs », indique Philippe Beauregard. Concrètement, pour une transaction finalisée en 2007, l’acquéreur demandera à être couvert sur les exercices 2007, 2006, 2005 et 2004. « Le cédant n’a en général aucune raison d’accepter une garantie allant au-delà des 5 années suivant la vente, car après un tel délai, on peut difficilement lui imputer la responsabilité de l’augmentation du passif », fait remarquer Éric Moya.
Côté financier, il est très fréquent de prévoir une franchise, c’est-à-dire une somme qui reste invariablement à la charge de l’acquéreur, à l’instar de ce qui se pratique en matière d’assurances. Le montant de cette franchise varie au cas par cas, selon la taille de la société, son activité et les risques mis en lumière par les différents audits. Autre levier financier qu’il est d’usage d’insérer au contrat : le seuil de déclenchement. « C’est le niveau à partir duquel la mise en jeu de la garantie se déclenche », indique Philippe Beauregard. Dernière variable enfin : le plafond de garantie qui représente la somme maximale dont le cédant pourra être amené à s’acquitter en réparation du préjudice subi par l’acheteur. « Il peut être fixe ou dégressif au fil du temps », précise Philippe Beauregard. Et d’ajouter : « dans le cadre d’un deal industriel classique, la tendance actuelle est de plafonner la garantie à 40 % en moyenne du prix de vente. Si la société cible est bien structurée, le plafond peut être inférieur. Mais il peut aussi atteindre 100 % du prix de vente quand par exemple l’activité présente des risques importants (dépollution…) ». Tout dépend de la connaissance que le repreneur a de l’entreprise et du marché et du rapport de force qu’il entretient avec le vendeur.
Parmi les autres clauses essentielles du contrat, citons l’obligation d’information à laquelle l’acheteur est tenu vis-à-vis du cédant et permettant à ce dernier d’être prévenu le plus rapidement possible de tout événement qui pourrait déclencher la mise en œuvre de la garantie. « Ce droit à l’information peut comprendre un délai maximal au-delà duquel le cédant pourra arguer d’un vice de procédure pour éviter le paiement de l’indemnité. Il peut aussi prévoir la communication dans un certain laps de temps, des documents afférents à ce passif et la possibilité pour le cédant de participer ou de conduire directement avec son avocat les diverses procédures », détaille Éric Moya. Car il ne s’agit pas seulement de protéger le repreneur…
La « garantie de la garantie »
« Est-il opportun d’avoir une bonne garantie d’actif et de passif si le cédant a disparu, s’il est parti à l’autre bout du monde, ou qu’en France il est devenu totalement insolvable ? », interpelle François-Xavier Charvet, avocat associé au cabinet Charvet-Gadel. Évidemment non ! C’est la raison pour laquelle les repreneurs ont pris l’habitude, depuis le début des années 1990, de demander aux cédants une « garantie de la garantie » pour une partie du prix. La plupart du temps, il s’agit d’une caution bancaire donnée par le vendeur, pour une certaine durée. « Il n’existe pas réellement de pourcentage par rapport au prix de vente pour une telle garantie, même si d’aucuns aiment l’affirmer. Elle doit être proportionnelle au risque raisonnable et de bonne foi que le repreneur évalue aux côtés de ses conseils », estime François-Xavier Charvet.
Sujet hautement sensible, la garantie de la garantie entraîne souvent l’arrêt brutal des négociations… « Après avoir négocié la garantie d’actif et de passif, le cédant peut percevoir la demande d’une garantie de la garantie comme la demande “de trop” », confirme Philippe Beauregard, avocat associé au cabinet Brunswick. « Il pourra notamment interpréter cette exigence comme une entrave supplémentaire à la disponibilité des fonds provenant de la vente de sa société», poursuit-il. Et de conclure : « le choix du stade où cette demande est formulée est primordial ».