Lorsqu’ils paraissent, les chiffres de BPCE sur la transmission et la reprise des PME constituent un petit évènement pour au moins deux raisons : d’une part, ce sont les seuls disponibles sur le marché à ce niveau de précision ; d’autre part, ils sont quasiment exhaustifs. Au fil des années, ces données sont donc devenues une référence. Parmi les principaux enseignements à tirer de cette nouvelle étude, retenons la baisse sensible du nombre de cessions, la bonne santé du modèle de la transmission familiale, les difficultés de plus en importantes rencontrées par les dirigeants âgés pour céder ainsi que le taux toujours plus faible de dirigeants cédant leur entreprise pour partir en retraite.
Il est un phénomène très net, et ce quelle que soit la taille de l’entreprise : le nombre de reprises est en baisse sensible sur la période étudiée par BPCE, à savoir de 2013 à 2016. Soulignons, qu’eu égard à la complexité de l’analyse, les dernières données exhaustives disponibles concernent l’année 2016.
Pour les seules PME, le nombre de cessions a reculé de 28 % entre 2013 et 2016, passant de 14 464 à 10 484. Concernant l’ensemble des entreprises étudiées (de la TPE à l’ETI), la baisse des reprises sur la même période atteint 33 %. Le nombre d’opérations s’établit à 50 877 en 2016.
Les experts de BPCE avancent deux explications principales à cette baisse : d’une part, la loi Hamon (avant qu’elle ne soit largement assouplie) qui empêche la confidentialité des opérations ; d’autre part, la faible croissance économique de 2012 à 2015. D’après les premiers éléments d’analyse dont ils disposent pour les années 2017 et 2018, les experts de BPCE estiment que cette tendance à la baisse enregistrée entre 2013 et 2016 devrait se poursuivre sur les deux années suivantes.
Il apparaît, par ailleurs, que la probabilité qu’une entreprise soit reprise dépend nettement plus de sa taille que de l’âge de son dirigeant. Soulignons à ce niveau que seulement 30 % des reprises concernent une entreprise dont le dirigeant est âgé de plus de 60 ans. Le départ en retraite, et par conséquent l’âge, n’est donc plus, et de façon très nette, le principal motif de cession. A l’inverse, le nombre de salariés, et donc la taille de l’entreprise, impacte très directement sur le taux de cession. Ainsi le taux de cession est de 1,9 % pour les TPE de 1 à 5 salariés, de 3 % pour celles comptant de 6 à 9 salariés. Ce taux de cession atteint 4,6 % pour les PME de 10 à 49 employés et de 8,5 % pour celles de 50 à 249 collaborateurs. Comme le souligne l’étude BPCE, le marché de la cession n’est donc pas guidé structurellement par le vieillissement des dirigeants. Notons également que pas moins de 770 000 salariés ont été concernés par la cession de leur entreprise en 2016, dont pratiquement 90 % au sein de PME et d’ETI.
La transmission familiale en grande forme !
Si les chiffres globaux de la reprise et cession d’entreprise sont clairement orientés à la baisse, il est un type d’opération qui se porte bien, à savoir la transmission familiale. Ainsi, en 2016, pas moins de 22 % des PME et ETI ont été transmises sous cette forme, contre moins de 17 % en 20136. L’évolution est donc sensible. Le nombre d’opérations de transmission familiale de PME et d’ETI a atteint 2 451 en 2016. Les travaux de BPCE l’Observatoire mettent en évidence un taux de survie à trois ans des transmissions familiales supérieurs à la moyenne des cessions. L’une des explications est que l’héritier repreneur connaît très souvent très bien l’entreprise avant de la diriger et bénéficie de la confiance des salariés dès son arrivée aux commandes.
Il apparaît que plus le dirigeant cédant est âgé, plus le taux de transmission familiale est élevé. Ainsi, il est de 36 % du total des cessions de PME quand le dirigeant a plus de 60 ans et de 43 % lorsque ce dernier est âgé de plus de 65 ans. Ce type de transmission est, proportionnellement, plus nombreux dans les départements ruraux ainsi que dans les zones en déclins économique et/ou démographique où les repreneurs à titre onéreux se pressent moins. La transmission familiale est un modèle qui se diffuse davantage dans les petites et moyennes PME que dans les grandes. Au-delà de 100 salariés, le taux diminue. Est-ce la contrepartie d’une plus grande difficulté à vendre ? La question mérite d’être posée. À titre d’exemple, la transmission familiale représente plus du tiers des opérations de reprise dans des départements comme le Jura, l’Ariège, les Deux-Sèvres ou encore les Pyrénées-Orientales.
L’étude de BPCE L’Observatoire met également en évidence un autre problème de fonds portant atteinte à une bonne fluidité du marché de la transmission d’entreprise en France. Il s’agit du phénomène du vieillissement des dirigeants. En 2016, plus de 20 % des dirigeants de PME et d’ETI sont âgés de plus de 60 ans, contre seulement 15 % en 2005. Le souci vient du fait que ces derniers ont nettement plus de mal à céder que les chefs d’entreprise moins âgés. Certes, on l’a vu, moins de 30 % des cessions ont lieu après l’âge de 60 ans. Mais, entre 2013 et 2016, le taux de cession des dirigeants sexagénaires a reculé de 3,1 points et de 4 points pour ceux âgés de plus de 65 ans. Sur la même période, et à titre de comparaison, ce taux de cession n’a reculé que de 1,8 % pour les dirigeants quadragénaires, donc deux fois moins que pour leurs aînés. En 2016, quelque 3 200 cessions de PME ont été réalisées par des cédants de plus de 60 ans, à comparer aux 4 300 des années 2013 et 2014.
L’entreprise du cédant âgé perd en valeur
« La cession en fin d’activité est en elle-même problématique : le dirigeant doit le plus souvent sortir de son champ d’expertise pour une opération déterminante quant à la réussite qu’aura finalement été sa vie professionnelle », souligne Alain Tourdjman, directeur études et prospectives du Groupe BPCE. Et les freins sont nombreux : manque de temps, problème de la capacité à identifier les bons conseils et à évaluer le prix de leurs prestations, aspects réglementaires, etc. La dimension psychologique est évidemment importante. La capacité à changer de vie, à renoncer au statut social que conférait l’entreprise, mais aussi la difficulté de l’évaluation des enjeux patrimoniaux avec la famille constituent des freins ou des facteurs d’insuccès s’ils n’ont pas été suffisamment anticipés.
Ces différents éléments font que, statistiquement, la probabilité de céder baisse nettement après 65 ans. Cela a des conséquences quant à la bonne cessibilité de l’entreprise. Car, comme l’expliquent les experts de BPCE, avec l’avancée en âge, les dirigeants adoptent souvent une stratégie de consolidation des fonds propres, de désendettement et de sous investissement. Le dirigeant crée ainsi les conditions d’une perte de valeur de l’entreprise qui ira en s’amplifiant au fil des années. Comme le préconise Alain Tourdjman, il faut mettre la transmission au rang de grande cause nationale afin, notamment, que le dirigeant âgé ne se sente pas directement interpellé et visé par des campagnes trop spécifiques sur les cédants.