L’évaluation d’entreprise est un sujet bien borné, qui fait l’objet de très nombreux ouvrages et communications. Les différentes méthodes d’évaluation sont bien connues, très largement utilisées même si aucune d’entre elles n’est parfaite. Il est pourtant une problématique peu abordée lors des évaluations : il s’agit du capital immatériel de l’entreprise. Lors d’une conférence, au cours du dernier Salon des Entrepreneurs de Paris, Gilles Lecointre, professeur à l’Essec, est revenu sur cet élément fondamental pour bien apprécier la réalité d’une entreprise.
En introduction de cette conférence intitulée « Évaluer une PME en vue de construire un business plan cohérent », Patrick Lemarié, directeur général d’Intercessio, un cabinet spécialisé dans le conseil en transmission d’entreprise, a livré quelques éléments de réflexion, fruits de son expérience, sur le processus de vente d’une cible. « Il ne faut jamais oublier le contexte d’une opération : quel est l’état d’esprit du vendeur, quels sont vos objectifs, quel est le contexte économique, quel est l’intérêt des banques pour financer l’opération, etc. Il y a donc des éléments de contexte qui vont influencer la valeur d’une entreprise, souligne-t-il. À titre d’exemple, s’il y a plusieurs acquéreurs potentiels en concurrence sur une même cible, le prix de transaction sera plus élevé que ce que pouvait le laisser penser la seule approche financière ». Il précise qu’il existe bien des prix de marché qui évoluent notamment en fonction des périodes de crise ou non ou encore de l’appétit des fonds. Aujourd’hui, les prix sont à près de dix fois l’EBE. Le directeur général d’Intercession rappelle que le prix sera aussi impacté par le type de vendeur. En effet, un cédant de 40 ans se trouvera dans une logique différente de celle du vendeur de 65 ans qui part en retraite, car les intérêts sont différents.
Gille Lecointre explique, pour sa part, que l’évaluation et le business plan sont deux problématiques totalement imbriqués. Sur ces deux sujets, le plus important n’est pas une question de chiffres, mais d’approche. « Le business plan va servir à lever une dette d’acquisition. Le business plan est une sorte de mise en scène sur un sujet à haut risque et il faut essayer de convaincre les gens. Il faut donc un sujet suffisamment captivant. Les seuls chiffres ne suffisent pas. Il faut raconter une histoire. Les banquiers ne vont pas regarder en premier lieu les chiffres. Si le projet est creux, cela ne les convaincra pas », assure-t-il.
Le capital immatériel est le génome de l’entreprise
Certes il y a aujourd’hui beaucoup d’argent, mais peu de projets sont finalement financés. En France, il y a environ 250 LBO par an, donc ce n’est pas beaucoup. Les fonds et les banquiers s’intéressent d’abord aux belles et grosses PME. « Pour les autres, c’est plus compliqué. Les petites PME sont des sujets plus risqués. Donc le business plan doit montrer une belle histoire et prouver que le risque n’est pas très élevé. L’enjeu est de trouver l’équilibre entre la crédibilité du projet et la prise de risque pour celui qui va financer », poursuit-il.
À ce stade de la conférence, Gilles Lecointre en vient très directement à la problématique du capital immatériel. Qu’est-ce qui fonde la valeur de l’entreprise que je veux acheter ou vendre ? « Au moins les trois quarts de la valeur d’une entreprise sont fondés sur l’immatériel, estime-t-il. D’ailleurs, les plus grands cabinets d’audit en conviennent. C’est ce capital immatériel qui permet aux entreprises d’être pérennes. Il a un impact fondamental et direct sur les résultats économiques d’une entreprise ».
Selon ce dernier, le capital immatériel, c’est le génome de l’entreprise ; en d’autres termes, c’est ce qui fonde son identité. Mais cela n’apparaît pas dans le bilan. La sur-valeur d’une entreprise, à savoir ce qui fait qu’elle est plus rentable qu’une entreprise comparable, est notamment constituée par son image, son savoir-faire, la qualité et la rémanence de sa clientèle, ses marques, etc. : il faut que l’entreprise ait une compétence qui la distingue de la concurrence. C’est ce sur quoi les dirigeants, en particulier des petites structures, devaient passer le plus de temps. Il faut mener cette distinction à son terme et l’entretenir.
Le dirigeant doit savoir déléguer
« Un autre point fondamental est le produit et son positionnement identitaire. Sur ce plan, à savoir toujours rechercher la différence, les Allemands font mieux que nous, poursuit Gilles Lecointre. Le dirigeant qui cède son entreprise doit bien réfléchir à cela et continuer à investir sur ses produits ou services jusqu’à ce qu’intervienne la vente. Certaines cibles peuvent avoir un beau bilan et une belle trésorerie, elles n’en demeurent pas moins « dangereuses » pour l’acquéreur, car elles n’ont pas investi depuis trop de temps. Il faut que le positionnement du produit permette de créer une relation fidèle et durable avec le client. Il faut créer une affectivité. Cela aussi est de l’immatériel ». Par ailleurs, le dirigeant doit aussi déléguer au maximum et associer ses collaborateurs à la gestion de l’affaire. Car un intuitu personae trop important va venir enlever de la valeur à l’entreprise ; les financiers le savent bien.
« À titre d’exemple, j’ai le cas de trois entreprises qui ont à un peu près les mêmes fonds propres et les mêmes résultats et, pourtant, elles se sont vendues à des prix très différents. La différence étant le capital immatériel. Donc, pour synthétiser, l’on peut dire que la valeur d’une entreprise réside pour une part dans sa valeur financière et, pour une autre part, sa valeur immatérielle. Ce capital immatériel est donc fondamental dans le résultat des entreprises. Il y a une relation linéaire entre le capital immatériel et la croissance. Tout simplement, cette valeur immatérielle va permettre aux entreprises de connaître de bons résultats économiques », conclu Gilles Lecointre.