Les experts sont unanimes : l’audit social est encore trop souvent négligé lors des rachats de PME. Certes, le temps qu’il faudra y consacrer décalera d’autant la conclusion de l’affaire. Le coût engendré par cet audit n’est rien en comparaison des mauvaises surprises qui peuvent survenir après l’acquisition. Moralité : l’audit social est crucial.
« L’audit social permet de vérifier si les obligations légales sont respectées, de révéler d’éventuelles anomalies et de faire un point sur la gestion sociale », explique Christelle Verdier, avocate spécialisée en droit du travail, du cabinet Saje. Il s’agit non seulement de comprendre les process de fonctionnement de la société cible et de définir des axes d’amélioration. Mais aussi d’identifier les risques potentiels de contentieux postérieurs à la cession. Et au-delà, de mesurer le climat social.
La partie juridique de l’audit social, qui doit être confiée à un avocat, consiste à vérifier que le droit du travail est correctement appliqué. Premier point à examiner : l’activité principale de la société, qui détermine la convention collective applicable. « Certains dirigeants n’appliquent pas la bonne convention, car l’activité de départ a évolué avec le temps », fait remarquer Christelle Verdier, avocate spécialisée en droit du travail, du cabinet Saje. Or, la convention collective a une incidence sur de nombreux éléments tels que le montant des salaires, le coefficient attribué au salarié ou encore les indemnités de licenciement. « Et la procédure pour en changer est très longue et compliquée à mettre en place », prévient l’avocate. Il convient également de vérifier que les obligations en matière de représentation du personnel, variables selon l’effectif, et en matière d’hygiène et de sécurité sont respectées. Et de se pencher sur la durée du travail appliquée. « Je vais devoir négocier un nouvel accord sur les 35 heures, car celui institué par mon prédécesseur, conclu pour 5 ans, n’est plus valable », raconte Bernard Marty, qui a repris la société de travaux publics ISTPSE et ses 70 salariés, en janvier 2009. Longues heures de discussion en perspective…
Une attention particulière sera également portée au registre unique du personnel qui fait état de toutes les entrées et sorties de personnel, au document unique d’évaluation des risques professionnels, aux affichages obligatoires en droit du travail (règlement intérieur à partir de 20 salariés, les coordonnées de l’inspection du travail, la durée collective du travail dans l’entreprise…) ou encore aux engagements collectifs (participation, intéressement, plan d’épargne entreprise…). « Ces documents doivent non seulement exister, mais aussi être à jour », commente Stéphane Morer, avocat du cabinet Bayet & Associés. Reste le plus gros morceau : les contrats de travail. « De manière générale, on va examiner chacune des clauses des contrats sur la base de la jurisprudence en vigueur à la date de l’audit », souligne Stéphane Morer. Car les règles en matière sociale évoluent très très vite.
Les contrats de travail sont-ils en règle ?
Les CDD, extrêmement réglementés, sont une source de contentieux importante. « Il faut donc s’assurer qu’ils ne risquent pas d’être requalifiés en CDI », indique Christelle Verdier. Le contrat doit nécessairement être signé. « Dans le cas contraire, il n’est pas valable », précise-t-elle. Le motif indiqué doit également être l’un de ceux prévu par la loi.
Autres contrats pouvant poser problème : les contrats à temps partiel. « Ils doivent comporter certaines mentions pour ne pas risquer d’être requalifiés en contrat à temps plein, parmi lesquelles la durée du travail, la répartition dans un cadre mensuel ou hebdomadaire et les cas de modifications possibles ainsi que la faculté d’effectuer des heures complémentaires », détaille Christelle Verdier.
Pour les CDI, l’enquête peut s’avérer plus compliquée, car leur formalisation par écrit n’est pas obligatoire. « Quand les salariés ont une ancienneté élevée, il arrive souvent qu’il n’y ait pas de contrat », pointe Christelle Verdier. S’ils sont établis par écrit, il faut notamment disséquer la clause de non-concurrence. Deux questions à se poser, selon Christelle Verdier : « La contrepartie financière, qui est une condition de validité, est-elle indiquée au contrat ? Le renoncement de l’employeur à la clause a-t-il été prévu ? ». Idem pour la clause de forfait en heures. « Le nombre d’heures ainsi que le montant de la rémunération sont-ils bien précisés ? Ces éléments sont-ils en adéquation avec ce qui est inscrit sur le bulletin de salaire ? ».
Enfin, si des licenciements sont intervenus par le passé, les procédures ont-elles été correctement menées ? Dans le cas contraire, le salarié remercié peut réclamer des dommages & intérêts.
Les bulletins de salaire sont-ils aux normes ?
La partie chiffrée de l’audit social, qui relève des compétences de l’expert-comptable, passe d’abord par l’analyse des fiches de paye des 24 derniers mois au minimum. « Outre les mentions obligatoires, on va effectuer un contrôle des déclarations et du règlement des cotisations sociales », explique Carine Gendreau, expert-comptable associée au sein du cabinet DBF Audit. La classification du salarié sera, elle aussi, examinée. « On valide la concordance entre le coefficient et la grille des salaires pour voir si la rémunération perçue correspond au minimum conventionnel », explique Stéphane Morer. Si le coefficient est inférieur à la tâche de travail réellement effectuée, le repreneur peut être contraint à régler les rappels de salaires.
On va également « enquêter » sur les avantages acquis. « Si tous les salariés d’un même service perçoivent une prime fixe et régulière supplémentaire à celle prévue dans leur contrat de travail ou dans la convention collective, le repreneur devra maintenir cet usage sauf à le dénoncer via une procédure spécifique », cite à titre d’exemple Stéphane Morer.
Le repreneur doit, bien sûr, s’enquérir des éventuels contrôles effectués par l’Urssaf. Et dans le cas où la société cible a subi un redressement, découvrir ce que celui-ci a mis en évidence.
Enfin, « l’étude des droits à congés payés est un poste à ne pas négliger qui peut être révélateur de difficultés d’organisation du travail », ajoute Lucile Savreux.
Qu’en est-il des hommes ?
Pour connaître précisément l’effectif de la société, le repreneur ne peut se contenter des fiches de paye. « Les salariés en congé maladie de longue durée ou autre n’ont pas de bulletin de salaire. Il faut donc se fier au registre d’entrée et de sortie du personnel », explique Sonia Boussaguet, codirectrice de l’Institut du management de la reprise et de la transmission d’entreprise (IMART) et professeur en entrepreneuriat à Reims Management School. Étape suivante : identifier les savoir-faire disponibles. « Le repreneur doit éplucher les dossiers individuels des salariés incluant les CV, apprécier leurs compétences, expériences et aptitudes, pour vérifier qu’ils s’adapteront bien à son projet » recommande Sonia Boussaguet. L’exercice réserve souvent quelques surprises. « Il a mis en évidence une pyramide des âges inversée. La société ne comptait en effet quasiment aucun jeune », témoigne Bernard Marty, repreneur de la société ISTPSE. « J’ai aussi découvert que 80 % des salariés sont étrangers. Un avantage, car ils sont bosseurs, volontaires et disposés à faire des heures supplémentaires », poursuit-il. Quant au climat social, les causes de l’absentéisme, le taux de turn-over et l’ancienneté des salariés sont autant d’indices permettant de se faire une idée.
S’il ressort, au terme de toutes ces investigations, une série de dysfonctionnements, le repreneur a deux options : renoncer au rachat ou négocier le prix de cession à la baisse. « Dans le deuxième cas, il se servira des résultats de l’audit pour négocier la garantie de passif », explique Carine Gendreau.
Philippe Grard, repreneur de Pool Technologie
« Avant de racheter, en novembre 2000, la société Pool Technologie spécialisée dans le traitement des eaux de piscine, j’ai procédé à un audit social avec l’aide d’un expert-comptable. Du moins, nous avons concentré nos analyses sur les éléments papier, car le cédant a refusé que l’on entre en contact avec les collaborateurs avant la cession. Nous avons constaté que les contrats de travail étaient mal rédigés. En outre, il n’existait pas de fiche de poste, ce qui est problématique lorsque vous demandez à un salarié d’accomplir une tâche et qu’il refuse en faisant preuve de mauvaise volonté.
Si j’avais eu la possibilité de mener un audit social humain, j’aurais pris conscience d’une autre réalité, à savoir que cette société de 14 personnes employait les deux fils des actionnaires et que tous les autres salariés étaient leurs copains. Quand j’ai repris les rênes, ils se sont ligués contre moi et m’ont fait vivre l’enfer : absentéisme pour accident du travail bidon, refus de travailler pendant plusieurs jours, assignations aux prud’hommes… Impossible de faire jouer la garantie de passif, car les anciens propriétaires, à qui je louais les locaux, trouvaient toujours le moyen de me faire chanter. J’ai tenu bon. 100 % de l’effectif a été renouvelé. Et comme le marché est porteur, je m’en suis sorti. Le chiffre d’affaires est passé de 1,2 million en 2000 à 4 millions en 2008. Je conseille aux repreneurs de trouver les bons arguments pour convaincre les cédants de leur laisser rencontrer les salariés. En cas de refus, c’est peut-être qu’ils ont des choses à cacher… ».