Les freins à la transmission de l’entreprise dans le cadre familial, dans notre pays, sont nombreux. Pour preuve, le faible taux de reprise par les héritiers. Un récent rapport, remis au gouvernement, estime que seules 10 % des entreprises de ce type sont transmises à un membre de la famille.
« Nous avons un vrai problème de connaissance sur le sujet car en France car ni l’Insee ni la Banque de France ne font la différence sur la propriété du capital. Ce chiffre de 10 % d’entreprises transmises dans un cadre familial provient d’une étude réalisée en 2007 par KPMG sur un panel d’entreprise. Il faut le prendre avec des pincettes. Il est possible qu’aujourd’hui, ce pourcentage soit meilleur, notamment du fait de l’utilisation plus importante du pacte Dutreil. La différence sur ce plan avec des pays proche est sensible », tempère Olivier Mellerio, auteur du rapport. D’une étude réalisée par le FBN France (Family Business Network) sur les entreprises réalisant plus de 25 millions d’euros de chiffre d’affaires, il ressort que 58 % de ces entrepreneurs ont l’intention de transmettre à un membre de leur famille. Mais sur ces 58 % d’intention, combien vont véritablement transmettre à leurs héritiers ?
Les héritiers ne sont pas toujours prêts à reprendre
Quelque soient les estimations chiffrées, il reste patent que dans l’hexagone, les entreprises familiale sont majoritairement rachetées par des groupes ou par des repreneurs, personne physique, extérieurs. Cette situation, qui peut apparaître paradoxale, s’explique en partie par la dimension psychologique d’une telle opération. « La transmission, en France, est souvent un sujet tabou au sein des familles, constate Olivier Mellerio. Les enfants n’osent pas en parler à leurs parents car ils ont l’impression de les pousser vers la mort. Et ces derniers ne savent souvent pas comment bien aborder le problème ».
Autre facteur d’explication : les enfants ne sont pas toujours prêts à s’impliquer dans l’entreprise comme l’ont fait leurs parents. Il leur faudra réussir à s’imposer dans une entreprise développée par leur père ou leur mère, ce qui n’est pas toujours simple. Tous n’ont pas cette capacité et, surtout, ils n’en possèdent pas forcément l’envie. Cette problématique doit être abordé avec les enfants lorsqu’ils sont encore au moment du choix de leur carrière, pendant ou après leurs études. Agés de 40 ou 45 ans avec une carrière en cours, ils hésitent souvent à se réorienter vers une voie qu’ils ne connaissent pas ou peu.
Une barrière psychologique à franchir
« Au sein de notre entreprise, nous avons créé une holding animatrice et séparés les actifs immobiliers des actifs opérationnels. Un président non familial a été nommé avec pour mission de coacher la nouvelle génération et le directeur général. Il facilite ainsi la césure entre les générations pour éviter que les anciens ne s’accrochent et empêchent par là même les plus jeunes de prendre leur envol. Cette pratique est sage car elle permet de faire confiance à la nouvelle génération et de lui procurer assez tôt les outils qui vont lui permettre de réinventer l’entreprise », explique Olivier Mellerio. Il précise que ce processus a été conduit de façon progressive, sans conflit et ce, grâce à l’assistance d’un administrateur indépendant et de conseils extérieurs. Une solution intéressante consiste à donner à un enfant la direction d’une filiale. Lors de ce même processus de transmission, Olivier Mellerio a proposé de créer une structure nouvelle dans l’horlogerie qui est devenu un centre de profit, puis qui a été fusionnée. « En dirigeant cette entité, j’ai pu me tester et me donner de la crédibilité auprès du groupe familial », souligne-t-il.
Une autre barrière, elle aussi d’ordre psychologique, vient du manque de considération de l’entrepreneuriat en France et donc d’une faible attractivité du métier de patron pour les jeunes héritiers. Ce fait est constaté par de nombreux acteurs de la transmission en France. « Nous ne formons pas des entrepreneurs. Pour développer, il faut que des gens prennent des risques. Mais dans notre société, le mérite de l’entrepreneur n’est pas reconnu, estime Pascal Julien Saint-Amand, notaire, président du réseau notarial Althémis. Lorsque ce dernier réussit, on ne l’admire pas, comme aux Etats-Unis par exemple, mais les gens le jalousent. Il faudrait d’ailleurs opérer une vraie différence sur le plan fiscal entre le cadre dirigeant d’une société et l’entrepreneur qui lui risque son capital ».
L’anticipation est capitale pour une bonne transmission
Au-delà de ces barrières socio-psychologiques, le cadre juridique et fiscal de la transmission familiale, essentiel bien évidemment, est pour sa part tout à fait adapté. L’une des clés pour profiter au mieux de ces dispositions légales attractives réside dans l’anticipation de cette opération complexe qu’est la transmission de son entreprise à ses enfants.
Techniquement, le processus de transmission peut être réalisé par les professionnels du droit et du chiffre dans un laps de temps compris entre 6 mois et un an. Toutefois, la phase de maturation d’un tel projet est bien plus longue. Envisager son devenir après la retraite, discuter sereinement des choix à opérer avec ses enfants, parler de leurs ambitions sont des réflexions qui demandent du temps. Il est important de créer les conditions d’un réel dialogue entre la génération qui va lâcher et celle qui est susceptible de reprendre. Beaucoup de professionnels conseillent de sérieusement penser à la transmission de son entreprise familiale 10 à 15 ans en amont.
« Plus l’on prépare sa transmission sur le long terme, mieux c’est. Ces processus sont longs. Il faut les mûrir dans le temps sur le plan psychologique. Il faut du temps pour mettre en place le pacte Dutreil et respecter les engagements de conservation», constate Valérie Tandeau de Marsac, avocat associé chez Jeantet Associés. Pascal Julien Saint-Amand renchérit : « En anticipant, il est possible de faire évoluer le chef d’entreprise mais aussi les enfants sur leurs projets de façon à bien définir qui veut quoi et ce que l’on prêt à accepter. Souvent, le dirigeant n’a qu’une vague vision de ce qu’il voudrait et il ne sait pas ce qu’il est possible de faire ou non».
Sur ce plan, l’expert-comptable, le notaire, l’avocat, des conseils spécialisés ou encore des administrateurs indépendants, peuvent intervenir auprès du dirigeant. S’ils sont sollicités assez tôt, ils vont inciter le chef d’entreprise à se poser les bonnes questions, et au bon moment, sur le sujet de la transmission.
La difficile égalité de traitement entre héritiers
Un problème très concret se pose au dirigeant ayant plusieurs enfants du fait d’un des piliers du droit successoral français qui est le principe de l’égalité entre héritiers. Lors de la transmission, souvent un seul enfant reprend le flambeau. Il faut donc trouver un moyen de dédommager les autres. A cet égard, les professionnels du droit et du chiffre ont un travail d’éducation à mener auprès du chef d’entreprise car, souvent, s’il a un enfant repreneur, il va surtout se concentrer sur le fait que ce dernier possède le pouvoir et le contrôle de la société. Mais il apparaît tout aussi important de bien structurer la situation des enfants non repreneurs. « Si ces derniers se retrouvent dans une situation dans laquelle, ils sont pieds et points liés à l’égard de l’enfant repreneur, vous avez alors en germe un contentieux qui risque de freiner le développement de l’entreprise. Le chef d’entreprise a tendance à tout réinvestir au sein de son entreprise, analyse Pascal Julien Saint-Amand. Mais les autres enfants vont légitimement demander un peu d’argent pour acheter leur maison, par exemple ». Il explique qu’il est certes essentiel de veiller à la sécurité du repreneur afin qu’il ait les coudées franche pour prendre des décisions mais parallèlement, mais il faut imposer à ce dernier une distribution minimale de dividendes pour que les non repreneurs puissent avoir un intérêt dans le devenir de l’entreprise. Dans l’hypothèse où le repreneur ne respecte pas une distribution minimale de dividende, il peut avoir une obligation de racheter les titres des autres enfants à valeur d’entreprise et pas à valeur d’une participation minoritaire.
Prévoir le pire dans les actes notariés
Même si le processus de transmission se déroule sous les meilleures auspices, qu’il n’existe pas de dissensions familiales, le notaire, par nature prudent et surtout prévoyant, pourra ajouter différentes clauses dans l’acte de donation afin de parer à toutes éventualité.
Comme une clause d’interdiction de vendre si le cédant souhaite que l’entreprise demeure dans le cadre familial durant un certain temps. En effet, les parents peuvent donner un peu plus de titres à l’enfant repreneur afin de l’encourager dans son projet. En contre partie, il n’a pas le droit de la vendre durant un certains délai. Le notaire peut également insérer des clauses d’interdiction de la mise en communauté. Des clauses de residuo peuvent s’avérer fort utiles : dans l’hypothèse du décès de l’un des enfants, les titres qu’il a reçu passent à l’autre enfant. L’avantage de cette clause est que l’on va considérer que les titres, lors du décès de l’un des enfants, ne viennent non pas de l’enfant mais du père. De ce fait, nettement moins de droits seront dus.
« En marge de ces dispositifs, nous allons élaborer des conventions de famille dans lesquelles un certain nombre de critères seront définis. Cela permet d’expliciter l’esprit de la donation. Il est possible d’ajouter des contraintes complémentaires au profit des uns et des autres ou des obligations de solidarité entre les enfants, et ce, dans certaines circonstances bien particulières», précise Pascal Julien Saint-Amand.
Enfin, un pacte d’actionnaire définira les conditions d’une sortie conjointe ou les modalités dans lesquelles l’un peut forcer l’autre au rachat de ses titres si jamais certaines obligations n’ont pas été respectées.
L’encadrement juridique et fiscal de la transmission de l’entreprise familiale en France apparaît donc tout à fait favorable au cédant comme au repreneur. Reste à connaître et surtout à maîtriser ce corpus légal. Malheureusement, nombreux sont les dirigeants qui demeurent dans une certaine ignorance de ces dispositions ou qui ne s’entourent pas des professionnels les plus spécialisés et aguerris en la matière. Ils cèdent alors dans des conditions peu attractives. Les autres, plus avisés pourront profiter au mieux de notre environnement légal et économiser des sommes conséquentes.