L'agroalimentaire ou le goût du risque

30 septembre 2008

Isabelle Marie

""Dans l’industriel agroalimentaire, les opportunités de reprises ne manquent pas. Mais le phénomène de concentration bat son plein. Et la grande distribution, toute puissante, dicte sa loi. Autant de difficultés à surmonter pour un repreneur.
Une des caractéristiques du secteur : l’hétérogénéité de ses acteurs. Plus de 10 500 unités sont recensées toutes tailles confondues, de la micro entreprise active uniquement au niveau local à la multinationale intervenant sur le marché mondial à l’instar de Danone, Lactalis, Bongrain ou encore Pernod-Ricard. « Mais seules 3 000 d’entre elles emploient plus de 20 salariés », précise Ariane Voyatzakis, responsable du secteur agroalimentaire à Oséo. Leur répartition géographique est assez diffuse. « Les industriels sont concentrés en majorité à proximité des sources de production agricole », note Ariane Voyatzakis. Bretagne, Nord-Pas-de-Calais, Pays de la Loire, Poitou-Charentes, Aquitaine, Rhône-Alpes… sont autant de régions à forte tradition agroalimentaire sur lesquelles les candidats à la reprise doivent donc orienter leurs recherches. Car ces temps-ci, les opportunités de reprises se multiplient comme le souligne le sénateur Jean-Paul Emorine dans son rapport d’information sur « l’avenir de la filière agricole à l’horizon 2050 » publié début 2007. « D’un côté, beaucoup de dirigeants de PME arrivent à l’âge de la retraite et souhaitent vendre leur affaire ; de l’autre, les grands groupes sont souvent pressés par leurs actionnaires de se concentrer sur leur cœur de métier et de céder des filiales », fait-il observer.

> Un secteur difficile
Mais qu’on se le dise : le terrain est glissant. D’abord parce que pour vendre à grande échelle sur le territoire national, il faut séduire la grande distribution qui constitue le principal circuit de commercialisation. Une gageure vu la concentration du secteur qui compte en gros six « acheteurs » (Carrefour, Auchan, Leclerc, Casino, Système U et Intermarché). « C’est un véritable goulot d’étranglement pour les fournisseurs soumis à une pression énorme », déplore Jean-Louis Ruatti. « Les petites entreprises fabriquant les produits premiers prix sont relativement fragiles, car leurs marges sont faibles et les prix tirés à mort », analyse-t-il. Dans leur sillage, les multinationales qui se partagent le segment des produits de grande marque sont bien mieux armées pour résister. Reste les produits vendus sous marque de distributeur (MDD) dont la proportion ne cesse d’augmenter. Mais auxquels seules les PME véritablement performantes peuvent s’attaquer. En effet, « les investissements à consentir sont lourds afin de se doter d’outils industriels modernes adaptés à la fabrication des produits MDD,», explique Jean-Louis Ruatti. Ces cibles-là valent donc cher (plusieurs dizaines de millions d’euros). Trop pour un seul homme.

> Des clés pour réussir
L’une des clés pour tirer son épingle du jeu dans ce contexte de plus en plus concurrentiel : innover, tant sur le plan marketing qu’au niveau des produits. Certaines ne se privent pas de jouer à fond sur l’image « produits français » ou encore « produits de luxe ». Et ça marche ! Il est impératif bien sûr de suivre les tendances de consommation. Et pourquoi pas investir les créneaux porteurs ? La diététique, par exemple, est un secteur d’avenir. Autre levier de croissance : l’export. Attention toutefois au marché européen arrivé en partie à saturation. Dans ce cas, une alternative : pénétrer, en France, d’autres réseaux de distribution tels que la restauration hors foyer, les stations-service, la distribution automatique ou encore la vente par internet. Tous les moyens sont bons pour s’imposer hors des rayons de la grande distribution !

> Avis d’expert : Jean-Louis Ruatti, président du directoire d’Agro Invest, fonds d’investissement dédié à l’agroalimentaire
« En 20 ans, j’ai croisé beaucoup de candidats qui avaient le fantasme de reprendre dans ce secteur. Mais au final, rares sont ceux qui ont réalisé l’opération seul ». Ultime solution pour trouver les capitaux nécessaires : les fonds d’investissement. « Ces derniers s’associent avec un repreneur personne physique, de préférence issu de l’agroalimentaire ou d’un secteur connexe. Ils prennent une participation majoritaire et se retirent au bout de 5 à 7 ans ». Les managers expérimentés disposés à se lancer dans une course folle à la rentabilité et à rendre des comptes à des associés financiers ont donc une carte à jouer.
Mais force est de constater que le plus gros volume des transactions n’est pas le fait des fonds d’investissement. « Les rachats entre concurrents constituent la première source de reprises ». L’agroalimentaire connaît en effet actuellement un mouvement de concentration sans précédent. « Les industriels cherchent à atteindre la taille critique pour développer une stratégie à l’export, monter une équipe R&D chargée d’innover et s’ouvrir les portes de la grande distribution ».