« La problématique du prix de cession est fondamentale dans le succès de l’opération »

10 avril 2019

Isabelle Marie

Lors du Salon des Entrepreneurs de Paris 2019, organisé par le groupe Les Echos, une conférence était consacrée au thème du prix de vente d’une cible : « De l’évaluation au prix de cession ». Patrick Lemarié, directeur général d’Intercessio, et Jean Myotte, senior advisor d’Interactis, ont analysé le processus de formation du prix de cession et ont livré de nombreux conseils.

Afin de cadrer la problématique de cette conférence, Patrick Lemarié, directeur général d’Intercessio, cabinet spécialisé dans la vente de petites PME familiales, a livré quelques données sur la reprise de PME en France, pas toujours connues. Il précise que, chaque année et selon les chiffres de BPCE, un peu plus de 10 000 PME sont cédées, soit environ 5 % du nombre total de PME.

Autre donnée importante qu’il convient de rappeler, le taux d’échec est de 30 % à 5 ans sur des reprises d’entreprise. « Souvent, le repreneur pense pouvoir faire mieux que le cédant, il ne va donc pas hésiter à acheter un peu trop cher, mais s’il ne parvient pas à développer suffisamment, il va à l’échec. Donc, nous voyons bien que cette problématique du prix est particulièrement importante dans le succès de l’opération », souligne Patrick Lemarié.

La première thématique abordée a le mérite de la simplicité, mais n’en est pas moins primordiale et va, in fine, influer sur le prix : comment trouver une cible qui vous convient en tant que repreneur ? « Généralement, on est bon dans ce que l’on connaît. Reprendre une entreprise dans un secteur qui n’est pas du tout le sien revient, pour moi, à une partie de poker, répond Jean Myotte, senior advisor au sein du cabinet de fusion-acquisition Interactis et ex-DG d’In Vivo (groupe agroalimentaire qui réalise un CA de 6 milliards d’euros). Donc, avant tout, il faut bien savoir si son savoir-faire est en adéquation et pourra s’exprimer dans cette entreprise. Il faut évidemment que la taille de l’entreprise corresponde à son budget et à ses compétences. Il est très important de voir, de façon honnête, quelle est la valeur ajoutée que je peux apporter à l’entreprise du fait de mes compétences qu’elles soient industrielles, financières, commerciales, managériales ou autre ». Il ajoute que l’on ne peut, bien sûr, pas être compétent sur tous les aspects, mais il faut alors vérifier qu’il y a les compétences en interne dans les domaines que le repreneur maîtrise peu ou pas. « Il faut donc bien cadrer son projet et bien se regarder dans la glace afin de tenter de discerner si l’on convient pour cette cible et inversement », résume Patrick Lemarié

« Toutes les fonctions de l’entreprise doivent être passées au crible »

Pour tenter de déterminer le juste prix, le repreneur potentiel se doit, bien entendu, d’avoir une vision la plus fine possible de la cible. Il faut pouvoir faire assez rapidement une première évaluation de l’entreprise, même de manière simplifiée. Il existe, bien entendu, de nombreuses méthodes d’évaluation ; certaines étant plutôt favorable au cédant, d’autres plus favorables pour le repreneur. « Il faut auditer la force de vente, le portefeuille client afin de vérifier, par exemple, qu’un même client ne fait pas plus de 50 % du chiffre d’affaires, reprend Jean Myotte. Il faut mener un audit industriel pour déterminer s’il faut investir très rapidement, ou non, dans l’outil industriel. Toutes les fonctions de l’entreprise doivent être passées au crible pour savoir quels sont les investissements nécessaires. Dans une entreprise contrôlée par des fonds d’investissement, la discussion est essentiellement technique et financière. Dans une entreprise familiale, il faut bien comprendre quels sont les objectifs du cédant et sa situation au sein de sa famille ? A-t-il des enfants, mais qui ne veulent pas reprendre ? Est-il poussé à la vente par ses frères et sœurs qui voudraient bien récupérer une part du gâteau ? ». Il explique aussi qu’il est important de comprendre ce que veut faire le cédant ensuite. Par exemple, si le cédant a peur de s’ennuyer une fois à la retraite, il risque de faire durer le processus de vente, voire de ne plus vendre. Dans ce cas, le repreneur pourra lui proposer une période d’accompagnement longue. Il sera alors peut-être un peu plus coulant sur la négociation sur le prix.

« Au-delà des éléments financiers, il faut regarder ce qui est important stratégiquement dans l’entreprise à savoir, les clients, les fournisseurs, les niveaux de dépendance » ajoute Patrick Lemarié. Mais, en dépit de tous les audits qui auront pu être menés, le repreneur va découvrir, chaque jour, de nouveaux éléments sur son entreprise et il doit donc apprendre à la connaître. Chaque entreprise possède son propre ADN. « L’expérience montre qu’il est difficile de faire mieux que ce qu’a réalisé le cédant dans les deux ans de la reprise de l’entreprise. Le repreneur a, ainsi, besoin de deux à trois ans pour établir sa propre stratégie et à en récolter les premiers fruits », note Patrick Lemarié.  

« Le cabinet d’intermédiation va servir d’amortisseur durant les négociations »

Autre question que ne manquera pas de se poser le repreneur, pour qui il s’agit dans la majorité des cas de la première opération de reprise : A quel moment parler du prix ? Très tôt dans la discussion ou pas forcément ? Ceci est extrêmement variable. Mais très rapidement dans le processus, il faut savoir le prix que l’on est capable de mettre. « Chez Intercession, nous préconisons également d’aller assez vite sur cette question. Quand vous êtes acheteur, il faut montrer son intérêt et son envie rapidement et le matérialiser par un écrit. Ce prix proposé n’est qu’indicatif, mais le cédant sera sensible à une offre rapide même si, par la suite, elle sera négociée », poursuit Patrick Lemarié.

Si les experts s’accordent donc sur le fait qu’il faille aborder rapidement dans le processus la question du prix, qui doit en parler directement avec le cédant ? « Les cabinets spécialisés sont des experts pour les évaluations et négociations, mais ils servent aussi d’amortisseur lors des négociations. Car, dans certains cas, il n’est pas bon que le cédant et l’acquéreur potentiel se retrouvent face à face pour négocier le prix. Les négociations sont alors souvent plus brutales et il est difficile de revenir en arrière. Lorsqu’il y a un tiers, il est plus simple de lui mettre une erreur sur le dos et, de ce fait, les deux parties peuvent éviter d’arriver à une situation de blocage et, ainsi, rester dans le jeu. Par ailleurs, il faut bien savoir que si vous sous-payez, en général, il ne s’agit pas d’une bonne affaire. Si vous surpayer, vous allez souvent au-devant de difficultés », assure Jean Myotte. Le cabinet va pouvoir désamorcer la situation en servant de tampon.

Le rôle d’un cabinet d’intermédiation, comme Intercessio, est, notamment, d’assurer une vraie fluidité, non seulement, durant la négociation sur le prix, mais aussi durant l’ensemble du processus de vente. « Si un cédant refuse de délivrer certaines informations, cela signifie que quelque chose grippe le process et que le problème peut être plus profond. C’est aussi un moyen de détecter si vous avez affaire à un vrai vendeur ou pas. Ou cela veut peut-être dire que le vendeur ne souhaite pas faire affaire avec le repreneur potentiel. Normalement, vous devez vous trouver dans un flux bien huilé et dans un process qui avance en continu. En général, lorsqu’il y a un blocage, il ne faut surtout pas faire la politique de l’autruche, mais vraiment le point de blocage. Il peut s’agir de sujet qui aurait dû être purgé plus en amont », explique Patrick Lemarié. Ce dernier conclut par un conseil de base : ne jamais être trop sûr de soi, en tant qu’acheteur, mais demeurer modeste et très à l’écoute du cédant.