Pur produit anglo-saxon, la « letter of intent » ou lettre d’intention aurait pu être rebaptisée accord de négociation en droit français. Ce document, utilisé dans le cadre des pourparlers lors de l’acquisition d’une société, permet en effet de structurer juridiquement la phase des négociations précontractuelles.
« La lettre d’intention délimite le périmètre des négociations en fixant l’ensemble des éléments sur lesquels les parties souhaitent s’entendre », explique Marc Birobent, avocat spécialisé dans la reprise-transmission d’entreprise. Bien que non obligatoire, ce document est quasiment incontournable : c’est une manière pour le candidat à la reprise de prouver au cédant qu’il porte un réel intérêt à l’affaire et qu’il ne compte pas lui faire perdre son temps. « En pratique, ce type d’engagement est très souvent exigé par le vendeur, lequel souhaite s’assurer du sérieux des intentions du repreneur avant de lui ouvrir sa société, de lui transmettre des informations confidentielles et de lui permettre de réaliser un audit ou certaines diligences », indique Philippe Jouary, spécialiste du droit des contrats, du cabinet Amigues Auberty Jouary Pommier. Pour que le courrier ait une valeur contractuelle, il doit être contresigné par le cédant. « Dès lors, le repreneur est lui aussi prémuni contre une rupture brutale des pourparlers », précise Martine Monnier, avocate spécialisée en droit des sociétés, fusions & acquisitions, du cabinet Ader Jolibois.
Un document non obligatoire
La lettre d’intention est un engagement de négocier, ni plus ni moins. « Elle n’entraîne pas a priori une obligation d’achat, ni de vente », confirme Martine Monnier. Méfiance toutefois car sa portée juridique peut varier en fonction du contenu, et plus précisément des termes employés. Le pire des scénario pour un repreneur serait d’écrire « j’ai l’intention de me porter acquéreur des titres de votre sociétés pour tel prix payable à telle date ». Alors qu’il croit entrer en pourparlers, il émet en réalité une offre d’achat, autrement dit une proposition ferme. « C’est pourquoi il doit impérativement préciser en fin de document que la présente lettre ne constitue en aucun cas une offre d’achat, mais seulement la définition des principales conditions dans lesquelles il serait susceptible d’engager ou de poursuivre des négociations avec le vendeur », insiste Philippe Jouary. Et d’enfoncer le clou : « l’habileté du rédacteur est essentielle. En règle générale, ces lettres sont rédigées par des avocats fins connaisseurs de la jurisprudence ».
Le contenu est libre
La lettre d’intention est un document à géométrie variable. « Son contenu n’est pas réglementé. Les parties sont entièrement libres de le déterminer », explique Marc Birobent. C’est un contrat et en tant que tel, chaque clause peut donner matière à discussion. « En général, le repreneur va tenter d’introduire une clause d’exclusivité des négociations interdisant au cédant de mener en parallèle des discussions avec d’autres acquéreurs potentiels », relève Martine Monnier. Objectif : être le seul en course pour un temps donné. Cette clause peut être réciproque mais ce n’est pas systématique. En tout état de cause, si le vendeur exige la réciprocité, le repreneur a intérêt à accepter : il ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.
« De son côté, pour se protéger, le cédant va le plus souvent réclamer un engagement de confidentialité assorti d’une obligation de non exploitation des informations délivrées si l’affaire capote », explique Martine Monnier. Il peut même aller jusqu’à demander une clause de non débauchage des hommes clés que le repreneur va être amené à rencontrer.
La lettre d’intention va également prévoir un prix mais pas définitif. « Ce peut être une fourchette, une approximation ou un prix sous conditions », précise Marc Birobent. Les parties prendront soin de fixer les déterminants, c’est-à-dire la ou les méthodes d’évaluation retenues pour calculer le prix. De même, les modalités de paiement devront être détaillées. « Il peut s’agir d’un versement cash ou fractionné en plusieurs fois », note Martine Monnier.
Le repreneur doit également définir le périmètre de l’opération, autrement dit ce qu’il souhaite acheter précisément : le fonds de commerce uniquement, la holding et/ou la société d’exploitation, la totalité des titres ou seulement une partie, en un bloc ou de manière échelonnée… « Si certaines activités périphériques de la société cible ne l’intéressent pas, il faut le préciser », explique Martine Monnier.
Un engagement de négocier de bonne foi
Autre point que le candidat va coucher sur papier : le niveau de garanties de passif qu’il désire obtenir. Sans oublier la durée de validité du document. « Dans l’intérêt des deux parties, on fixe une échéance pour ne pas laisser perdurer des engagements potentiels », justifie Martine Monnier. La durée dépend du degré de complicité entre les parties, de leur relation. « Trois mois, c’est un minimum. Avec généralement un avenant d’extension », estime Marc Birobent.
Il convient en outre de prévoir un calendrier pour la période d’audit et pour l’élaboration du protocole d’accord. Ainsi que le droit applicable et la juridiction compétente, surtout si les négociations sont menées avec des étrangers.
Certes, la lettre d’intention n’entraîne pas l’obligation de conclure. Mais elle implique l’engagement de négocier de bonne foi. « Donc, si le repreneur ne donne plus signe de vie, il est fautif. Même constat si le cédant ne joue pas le jeu en refusant par exemple de communiquer des informations, de recevoir le repreneur… », commente Marc Birobent. En cas de rupture abusive des pourparlers, le candidat à la reprise peut obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi. « Les tribunaux indemnisent les frais directs de négociation c’est-à-dire les frais de déplacement, le coût d’intervention des experts (avocats, auditeurs, experts-comptables…), mais pas les frais indirectes comme le temps passé et la perte de la chance », indique Martine Monnier. En revanche, ils n’ordonnent que très rarement la vente forcée.
Avis d’expert : Marc Birobent, avocat spécialisé dans la reprise-transmission d’entreprise
« Généralement, les repreneurs veulent un chef d’œuvre. Or, une lettre d’intention efficace est une lettre que le cédant va accepter de signer. C’est un exercice d’équilibriste qui revêt une dimension psychologique importante. L’acquéreur doit en effet cerner les attentes du cédant avec, pour seule boussole, son jugement personnel. En pratique, il va souvent être contraint de renoncer à des clauses importantes pour éviter que le vendeur ne se braque et l’exclut d’office des négociations. Tout dépend du contexte, de la personnalité du cédant… Si la boîte lui plaît vraiment, il a tout intérêt à se montrer conciliant quitte à renégocier ensuite certaines clauses « à la marge », plutôt que de se faire éconduire sur le champ. Sur ce point, nombres de repreneurs se méprennent : s’adapter ne signifie pas se faire dominer, se courber ».