La cession : une opération à préparer dans un souci d'optimisation (3/4)

27 octobre 2009

Isabelle Marie

Nous publions la troisième partie d’une analyse de Dominique Dumas sur les possibilités d’optimisation juridique et fiscale d’une cession.

FISCALITE DE L’APPORT-CESSION DE FONDS DE COMMERCE 

Bien que les droits d’enregistrement sur cession de fonds ait été considérablement réduits par le législateur au cours des 20 dernières années (ils furent de 13,20% puis de 11,40% il y a une vingtaine d’années), il peut être préférable pour réduire ces droits, de faire apport du fonds en société pour vendre ensuite la société elle-même. Le taux des droits d’enregistrement sur cession de titres a été ramené en 2008 au même pourcentage que celui pour les cessions de fonds de commerce, mais avec deux différences majeures: 

– pour les parts sociales, ce taux demeure à 3% avec abattement égal par part sociale au rapport entre 23 000 € et le nombre toal de parts de la société, l’abattement maximal théorique de la base de calcul des droits de 3% étant donc de 23 000 €; et
– pour les actions, le montant des droits de 3% est plafonné à 5.000 euros. 

A noter également que le taux est toujours de 5%, sans abattement ni plafonnement, si la société est à prépondérance immobilière. 

La question est donc de savoir s’il est intéressant de faire apport du fonds à une société pour les besoins de la cession ?
Au plan fiscal, cela peut permettre de réduire les droits d’enregistrement et, si les options sont prises correctement, l’apport peut être exonéré ou neutralisé, l’imposition étant dans ce cas repoussée à la date de cession des titres, la cession de titre elle-même bénéficiant quasiment des mêmes avantages que la cession du fonds, sans le coût des droits d’enregistrement.

Il convient toutefois de bien préparer cette opération pour éviter une requalification en abus de droit.

Au-delà de l’aspect fiscal, il convient également d’apprécier la pertinence de l’un ou l’autre de ces modes de cession (cession du fonds ou apports du fonds en société et cession subséquente de la société) en fonction de certains éléments juridiques.

3.1 Fiscalité au moment de l’apport en société 

a/ Bénéfices/ plus-values et optimisation
Le principe est celui de l’imposition immédiate des bénéfices et plus-values sauf à bénéficier de certaines exonérations ou à exercer certaines options pour obtenir le report d’imposition à la date de cession des titres. 

L’apport en société d’une entreprise individuelle est en principe assimilé à une cession ou cessation d’entreprise ce qui implique en principe, l’imposition immédiate des bénéfices d’exploitation non encore taxés, des plus-values latentes de l’actif immobilisé, et, le cas échéant, des plus-values en sursis d’imposition. Si cette opération n’est pas étudiée en détail elle peut donc être extrêmement onéreuse. Le coût de l’opération va donc dépendre du contenu du fonds et de l’existence ou non d’éléments imposables lors de l’apport. 

Cas d’exonération des plus-values. En matière d’apports, on retrouve les même cas d’exonérations qu’en matière de cession de fonds de commerce, à savoir, l’exonération en fonction du montant des recettes (art. 151 septies du CGI), de la valeur des éléments cédés (art. 238 quindecies du CGI) ou en cas de départ en retraite de l’exploitant (art. 151 septies A du CGI).
Ainsi, et à titre d’exemple, si les recettes annuelles hors taxe de l’entreprise n’excèdent pas 250.000 euros (pour la vente de marchandises, la fourniture de logements sauf locations meublées et les exploitations agricoles) ou 90.000 euros (pour les prestations de services), les plus-values ne seront taxables que si l’entreprise est exploitée depuis moins de 5 ans. 

Report sur option de l’imposition des plus-values et profits sur stocks. Les personnes qui font apport d’une entreprise individuelle à une société peuvent opter pour un régime de faveur de report d’imposition des plus-values et des profits sur stocks (CGI art. 151 octies). Ce régime permet notamment: 

• D’éviter l’imposition des plus-values dégagées sur éléments amortissables; ces plus-values sont réintégrées dans le résultat imposable de la société sur une période maximale de 5 ans (l’apporteur peut toutefois opter pour l’imposition immédiate aux taux réduit de la plus-value à long terme globale afférente aux éléments apportés),
• De différer la taxation des plus-values afférentes aux éléments non amortissables jusqu’à la cession, le rachat ou l’annulation des droits sociaux reçus en rémunération de l’apport ou de la cession par la société des biens concernés. 

Il est important de noter que l’exercice de cette option ne peut être cumulé avec les régimes d’exonérations applicables le cas échéant en fonction des recettes, valeur des éléments cédés ou départ en retraite (Cf. ci-dessus). Par exemple un exploitant qui ne bénéficie que d’une exonération partielle en fonction de ses recettes, ne peut pas simultanément demander le bénéfice du régime de report pour la fraction des plus-values qui demeurent imposables. 

b/ Droits d’enregistrement et optimisation
La mise en société d’une entreprise individuelle est exonérée de tout droit d’apport si elle est effectuée lors de la constitution de la société et si l’apporteur s’engage à conserver pendant au moins 3 ans les titres reçus en contrepartie de son apport. A défaut, ce sont les mêmes droits d’enregistrement que ceux applicables à la cession de fonds de commerce qui s’appliqueront (cf. ci-dessus sous section II-A). Cette opération suppose donc de préparer la cession au moins 3 ans à l’avance.
A noter toutefois que lorsque le fonds est apporté à une société non soumise à l’IS, l’apport est dispensé de droits d’enregistrement sans condition d’engagement de conservation pendant 3 ans des titres rémunérant l’apport. L’objectif de l’apport d’une entreprise individuelle à une société étant toutefois, par hypothèse dans cet article, d’échapper en partie aux droits d’enregistrement en bénéficiant du plafonnement à 5.000 euros applicables aux cessions d’actions, il s’agira nécessairement d’un apport fait à une société par actions donc généralement soumise à l’IS. L’engagement de conservation des titres devra donc être pris. 

c/ Rémunération des associés et optimisation
L’apport d’un fonds de commerce à une société de personnes (société civile, société en nom collectif) ne change rien, en principe au régime de l’ancien exploitant. Celui-ci continue en principe de supporter l’impôt sur le revenu au taux progressif. En revanche la création d’une société peut avoir un impact sur la situation des autres associés s’ils occupaient au préalable un emploi salarié dans l’entreprise.
Si l’apport est fait à une société de capitaux (SARL, SA, SAS), l’apport peut permettre à l’exploitant individuel de devenir dirigeant et de bénéficier d’un régime fiscal plus favorable. En effet, les rémunérations allouées aux dirigeants sociaux sont normalement déductibles des bénéfices sociaux soumis à l’IS et ces rémunérations relèvent en général du régime fiscal des salaires (PDG de SA, président de SAS, gérant minoritaire de SARL…) ou du régime de l’article 62 du CGI (gérants majoritaires de SARL…) et bénéficient ainsi des avantages propres à ces régimes. Par ailleurs les présidents-directeurs généraux et directeurs généraux de SA et les présidents de SAS bénéficient du régime général de la sécurité sociale, c’est-à-dire du régime salarié. 

d/ Autres impôts et taxes
Il convient de faire attention car l’apport entraîne, comme pour une cession, un certain nombre d’obligations, notamment, les obligations suivantes: déclaration de cessation à déposer dans les 60 jours, régularisation éventuelle des déductions en matière de TVA, souscription de la déclaration des salaires versés jusqu’à la date de l’apport ainsi que les déclarations prévues en matière de taxes et participations assises sur les salaires. 

3.2 Fiscalité au moment de la cession ultérieure des titres 

a/ Plus-values et optimisation
La cession des titres entraîne en premier lieu le paiement de l’impôt en sursis grevant les plus-values dégagées lors de l’apport des éléments non amortissables.
Toutefois, comme pour les cessions de fonds de commerce, il y a exonération totale de ces plus-values en cas de cession pour cause de départ en retraite, et aucun impôt n’est dû lorsque ces plus-values ont bénéficié d’une exonération totale ou partielle soit du fait du montant des recettes (cf. ci-dessus – article 151 septies du CGI) soit du fait de la valeur du fonds de commerce (cf. ci-dessus – article 238 quaterdecies et quindecies du CGI).
Quant à la plus-value acquise, le cas échéant, par les titres depuis leur acquisition, elle est imposable au taux de 28,1% (16% majoré des prélèvements sociaux de 12,1%) applicable aux plus-values professionnelles à long terme si la société relève de l’IR (ce qui n’est a priori pas notre hypothèse) et au taux de 30,1% (18% majoré des prélèvements sociaux de 12,1%) si la société relève de l’IS.
Toutefois, même dans ce cas, il peut y avoir exonération totale ou partielle d’imposition si les titres ont été détenus plus de 8 ans. Il peut également y avoir exonération en cas de cessions réalisées au sein du groupe familial. 

b/ Droits d’enregistrement et optimisation
Les droits sont plus faibles que pour une cession de fonds de commerce et la réduction peut être très substantielle en cas d’option pour une société par actions (SAS de préférence) puisqu’ils s’élèvent:
– à 3% pour ces cessions de parts (avec un abattement par part égal à 23.000 euros divisé par le nombre de parts, soit un abattement de 23.000 euros pour 100% des parts);
– 3% plafonné à 5.000 euros par mutations pour les cessions d’actions;
Avec toutefois un taux de 5%, sans plafonnement, si la société est à prépondérance immobilière. 

c/ Attention à l’abus de droit
Depuis 2007, la jurisprudence semble revenir à plus de sévérité en matière d’abus de droit. Ainsi, les opérations d’apport-cession d’un fonds de commerce sont aujourd’hui menacées par un arrêt Sté Distribution Casino France (Cass. com. 20 mars 2007 n° 05-20.599 (n° 516 F-D), Sté Distribution Casino France : RJF 8-9/07 n° 993) sauf à être intelligemment orchestrées. Les faits étaient particuliers : la société HNP fait apport d’un fonds de commerce d’hypermarché à une société tierce indépendante, la société Astyage, filiale de la société Casino. Il s’agissait d’un apport soumis au droit fixe d’enregistrement. Quatre jours plus tard, la société HNP cédait les actions reçues à la société Casino. L’administration a requalifié l’apport en une vente du fonds de commerce et a notifié un redressement au titre des droits d’enregistrement sur le fondement de l’abus de droit. La Cour de cassation confirme l’abus de droit au motif que « l’enchaînement de ces opérations sur une courte période se justifiait par un but exclusivement fiscal, consistant à éluder le paiement des droits de mutation à titre onéreux ». Ce but exclusivement fiscal était, selon la Cour, démontré par « la cession de la totalité des titres, en dehors de toute prise de risque inhérente à l’apport en société et en dehors de toute logique économique ». Il convient donc de préparer ces opérations de façon intelligente pour éviter une telle requalification et cela passe notamment par la constitution d’un argumentaire intelligent et l’espacement des opérations d’apport et de cession. La question en outre ne se pose pas s’il y a engagement de conservation des titres pendant 3 ans. 

3.3 Quelques considérations juridiques complémentaires 

Il existe plusieurs différences majeures entre la cession de fonds et la cession de société. Trois différences essentielles nous semblent devoir être rappelées car il est possible que le choix entre cession ou apport-cession soit impacté par ces éléments. 

a/ Les éléments transférés
Sauf clause contraire, la cession de fonds n’opère en général que le transfert de ce qui est essentiel au fonds de commerce et/ou de ce qui est expressément indiqué dans l’acte. Ainsi, et sauf clause contraire dans l’acte, les passifs ne sont pas cédés avec le fonds. S’agissant des actifs, les actifs réputés essentiels au fonds sont transmis (en général la clientèle, le droit au bail, les droits de propriété intellectuelle, tels que marques et brevets, et les matériels essentiels au fonds) ainsi que ceux réputés transmis de par la loi même s’ils n’apparaissent pas dans l’acte (les contrats de bail, de travail, d’assurance et d’édition). Les autres ne sont cédés que s’ils sont expressément mentionnés dans l’acte (notamment la trésorerie, les créances et les contrats).
A l’inverse, la cession de titres de société emporte cession de tout ce que contient ladite société, à savoir, tous les passifs et tous les actifs de cette société. L’avantage du point de vue du cédant est de ne pas avoir à faire un inventaire précis de ces éléments et de pouvoir transférer facilement tous les passifs y compris latents. La contrepartie de cela est que le cessionnaire, en règle générale, exigera du cédant une garantie de passifs et d’actifs et/ou d’actif net. Le cédant doit dans ce cas certifier l’exactitude des informations fournies sur les actifs et passifs de la société et s’engager en pratique à prendre à sa charge toutes augmentations de passif ou diminutions d’actif par rapport aux comptes annuels garantis et aux déclarations faites dans l’acte et qui trouveraient leur origine à une date antérieure à la cession. La rédaction et la négociation de garanties de passifs pouvant s’avérer parfois lourde, il convient donc d’en tenir compte, en sus des gains fiscaux, pour décider de l’intérêt de procéder à un apport-cession dans le cas considéré. 

b/ Les garanties de droit sur les éléments transférés. 
Dans une cession de fonds, la loi prévoit que le cédant est tenu à un certain nombre d’obligations et de garanties de par la loi, même si celles-ci ne sont pas expressément prévues par le contrat. Ainsi le cédant est notamment tenu à (i) l’obligation de délivrance de ce qui est prévu à l’acte, (ii) la garantie des vices cachés (le vice doit rendre la chose impropre à l’usage auquel l’acheteur la destine ou diminuer tellement cet usage qu’il ne l’aurait pas acquise ou en aurait donné un moindre prix s’il l’avait connu), et (iii) la garantie d’éviction (le cédant ne peut pas détourner la clientèle cédée). Un formalisme très lourd impose d’indiquer dans l’acte lui-même un certain nombre d’éléments essentiels, le tout à peine de nullité. 

Dans une cession de titres, en revanche, ces garanties légales ne portent que sur les titres cédés eux-mêmes. En pratique, le cédant n’est garant, sauf clauses contraires, que de l’existence des droits sociaux et du fait que ces titres lui appartiennent et sont libres de tous droits de tiers, mais il ne garanti ni leur valeur ni la consistance du patrimoine de la société, à moins que le vice n’affecte l’usage des droits sociaux eux-mêmes (et empêche par exemple d’exercer l’activité de la société constituant son objet social). Si le cessionnaire n’exige rien, cela peut être favorable au cédant. Si, comme dans la plupart des cas, le cessionnaire exige des garanties de passifs et d’actifs, ceci peut, comme nous l’avons déjà mentionné, avoir un impact réel en termes de délais et de coûts.