Joëlle Jacques

13 avril 2010

Isabelle Marie

""Pour réaliser votre ouvrage, vous avez étudié huit cas de reprises. Qu’est-ce qui vous a le plus frappé ?
C’est surtout l’aspect psychologique de la reprise qui m’a intéressé. Je me suis rendu compte que les dirigeants des PME avaient un attachement viscéral vis-à-vis de leur société et de leur personnel. C’est particulièrement marqué pour ceux qui ont créé leur activité. Ils font tout dans la société et ont très peu de distance. Il y a une vraie analogie avec un enfant. D’ailleurs, l’entreprise est souvent comme leur premier enfant.
Le point de vue des repreneurs est différent. Ce sont majoritairement des quadragénaires qui ont déjà vécu une vie professionnelle comme salarié et qui ont une certaine distance par rapport à leur outil de travail. Ils savent qu’autre chose existe. Ils souhaitent juste devenir leur propre patron.
La première rencontre entre les deux est déterminante. La reprise est vraiment une affaire de sympathie immédiate. C’est un peu comme une rencontre amoureuse. Le cédant a la main. S’il n’a pas confiance au premier contact, il trouvera toutes les excuses possibles pour ne pas vendre. Parfois cela tient à peu de choses, par exemple les deux partagent une passion pour le même club de football. L’aspect psychologique est vraiment très important. Le cédant est d’ailleurs souvent étonné que le candidat se présente en costume cravate. Lui sera en général plus décontracté.

Vous avez interrogé des chefs d’entreprise, des porteurs de projets, un psychanalyste, des cabinets de rapprochement, un avocat, des experts-comptables, etc. Quel message voulez-vous faire passer aux cédants pour qu’ils réussissent leur transition ?
Les dirigeants de PME sont pris par leurs activités au quotidien et ne réalisent pas que les années passent. D’ailleurs souvent, la question de la transmission est posée par une personne extérieure ; des chambres de commerce, des futurs repreneurs eux-mêmes. Parfois c’est un accident de santé ou une grosse fatigue qui les amènent à y réfléchir. Il n’est pas rare qu’ils n’y aient jamais pensé avant.
Or les cédants doivent se rendre compte que transmettre prend du temps. En général, il faut cinq ans pour vendre. Ils doivent préparer la cession, interroger leurs propres enfants, parfois changer le statut juridique de leur entreprise. Souvent ils n’ont pas prévu que cela durerait aussi longtemps. Ils pensent que cela va être rapide. Les chefs d’entreprise qui vont ainsi se séparer de l’entreprise dans laquelle ils ont tellement investi doivent justement utiliser cette période de préparation pour se détacher psychologiquement, pour penser à l’étape suivante. Il ne faut pas lâcher sans avoir de projet, car le choc risque d’être trop violent. Les cédants qui s’en sortent le mieux sont ceux qui ont anticipé. 
Comme l’affirme, Luc Doublet, PDG de Doublet SA, leader mondial du drapeau, céder son entreprise constitue « le dernier acte d’intelligence économique que peut faire un patron pour son entreprise. » Encore une fois, la comparaison avec l’enfant est juste. Les dirigeants doivent laisser l’entreprise grandir sans eux. D’ailleurs pour les transmissions que j’ai étudiées, toutes les personnes qui ont repris ont embauché et agrandi la société. On constate ainsi que l’apport de sang neuf est déterminant. Le cédant aura parfois un pincement au cœur en voyant l’entreprise se développer sans lui, mais il ne doit pas oublier que sans lui elle n’existerait pas. Transmettre c’est encore créer.

Et quels conseils donneriez-vous aux repreneurs ?
Les repreneurs doivent garder une certaine humilité notamment par rapport au secteur d’activité qu’ils ont choisi, surtout s’ils ne le connaissent pas. Ils doivent également rester humbles par rapport au personnel. Pour gagner la confiance des salariés, ils ne doivent pas hésiter à « mettre les mains dans le cambouis. »
Si le cédant reste dans l’entreprise après la vente, il vaut mieux éviter que cette période de transition dure plus de six mois. Un an en général est le maximum que l’un et l’autre puissent supporter. Il vaut mieux éviter qu’il y ait deux chefs. Pour le personnel et pour les clients, les choses doivent être claires. D’ailleurs, les cédants qui vivent le mieux la vente de leur entreprise sont ceux qui ont coupé le lien et se sont investis dans d’autres activités.