Evelyne Fouquereau

4 décembre 2014

Isabelle Marie

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Vous venez de remporter le premier prix décerné par le jury du Grand Livre de l’Economie PME 2015 pour vos travaux sur la gestion psychologique de l’arrêt de la carrière chez les entrepreneurs de PME. Des recherches avaient-elles déjà été menées sur cette problématique ?

Dans notre discipline, qui est la psychologie du travail, il n’y a pas de travaux sur cette thématique. Les rares publications sur ce sujet portent sur les raisons économiques et juridiques mais pas sur la dimension psychologique de l’arrêt de la carrière et donc de la cession. Et ce, alors que les experts s’accordent à dire que dans environ 80 % des cas ce sont des raisons d’ordre psychologiques qui expliquent la difficulté à transmettre l’entreprise. Jusqu’à présent, nous n’avions pas de possibilité d’étudier la balance cognitive c’est-à-dire l’ensemble des raisons qui au même moment caractérisent le futur cédant.

Quelle a été votre méthodologie ?

Nous avons travaillé, avec Séverine Chevalier et Grégoire Bosselut qui sont Maîtres de conférence à l’Université François Rabelais de Tours, à la fois par entretiens et par questionnaires. Nous avons été obligés de construire notre propre outil car il n’en existait pas jusqu’alors. Nos entretiens, menés auprès d’entrepreneurs seniors, nous ont permis d’arriver à cerner à la fois les freins et les leviers psychologiques qui pouvaient les conduire à la transmission d’entreprise.


Vos travaux de recherche vont ont menés à établir quels constats ? Certaines raisons d’ordre psychologique dominent-elles ?

Nous avons distingué quatre types majeurs de raisons. Des raisons sont liées à la situation actuelle de l’entrepreneur senior, son activité professionnelle, et des raisons sont liées à sa situation future c’est-à-dire post professionnelle. A chacun de ces deux niveaux, nous pouvons distinguer ce qui relève de freins à la transmission et, au contraire, ce qui pousse à la vente de l’entreprise. Par exemple, certaines raisons peuvent inciter un entrepreneur à arrêter, comme un état de santé dégradé ou le fait de se sentir dépassé par les contraintes juridico-économiques. Mais certaines dimensions vont le retenir comme l’attrait pour l’activité professionnelle qui est la sienne ou le fait d’avoir été le père fondateur de l’entreprise. En face de cela, nous trouverons  ce qu’il va projeter de sa situation post professionnelle. Il y aura des freins comme la crainte de vivre une situation de solitude. Il va prendre en considération, parallèlement, certains leviers comme le fait de disposer de davantage de temps à consacrer à sa famille ou pour voyager. Ce qui nous a paru intéressant est de constater que c’est un ensemble de raisons prises simultanément qui vont être à l’origine de la décision.

Vous avez donc pu établir un modèle prédictif ?

Oui. L’objectif de ce modèle, qui a été validé et que l’on peut utiliser au travers de l’outil que nous avons créé, est de pouvoir prédire les comportements des entrepreneurs, en vue de la cession,  en fonction de l’état d’esprit dans lequel ils se trouvent à un moment donné. Si l’entrepreneur a tel profil sur les quatre dimensions, sera-t-il plus enclin à chercher de façon active un repreneur ? Au contraire, s’il se trouve dans un état caractérisé surtout par des freins, quel est le travail qui devrait être fait pour favoriser le passage de témoin ?

A quel moment peut être utilisé ce modèle ?

Il faut, en effet, déterminer à quel moment l’entrepreneur peut être prêt cognitivement à envisager l’arrêt. C’est beaucoup plus simple chez les salariés, du fait de l’âge légal du départ en retraite, que chez les entrepreneurs. Chez ces derniers, les modalités de sortie de l’entrepreneuriat sont beaucoup plus variées. Nous aurions tendance à préconiser le recours à l’outil dès lors que la personne commence à se positionner en tant que futur cédant.

Cet outil peut servir à mieux conseiller les cédants lorsqu’ils réfléchissent à vendre leur entreprise afin que la transmission se passe dans de bonnes conditions ?

Nous faisons vraiment de la recherche appliquée en partant de problématiques de terrain et en cherchant à les modéliser. Notre objectif est d’aider à cette gestion psychologique de la transmission. L’idée serait d’utiliser le diagnostic réalisé à partir de cet outil au cours d’un entretien pour repérer ce qui peut faire obstacle à la transmission de l’entreprise. L’idée est de pouvoir  mieux cibler les modalités d’intervention des conseillers. Ce n’est pas la même chose de ne pas pouvoir transmettre l’entreprise car le cédant potentiel est encore très attaché à la situation présente que de ne pas pouvoir passer le témoin du fait d’inquiétudes très fortes face à la situation post professionnelles. Dans certains cas, le conseiller pourra travailler à la réduction des craintes, dans d’autres cas, il va travailler, par exemple, sur la possibilité de développement d’activité parallèles afin d’amoindrir le lien exclusif qui relie le dirigeant à son entreprise, et faciliter ainsi la transmission.


Qui va pouvoir utiliser cet outil ?

Les cabinets d’intermédiation commencent à nous contacter car ils se montrent très intéressés pour utiliser cet outil. Il en va de même pour les conseillers transmission des CCI.