Ethique de la négociation

24 septembre 2008

Isabelle Marie

La prise de contrôle d’une société est une opération complexe qui s’inscrit dans un temps segmenté en plusieurs séquences : la préparation de l’acquisition, la négociation, la formalisation juridique, la réalisation du plan de reprise.
Singulièrement, le législateur ne s’est guère soucié d’intervenir dans le débat précontractuel, la négociation, au terme duquel le vendeur et l’acheteur vont s’engager dans les liens de contrats qui, une fois formés, tiendront lieu de loi aux parties. Néanmoins, cette période « d’avant contrat » n’est pas totalement libre, car les parties ont des devoirs l’une envers l’autre (devoirs de bonne foi, de coopération, de renseigner, de se renseigner, obligation de sincérité, devoir de confidentialité, etc.) que le droit qualifie, plus généralement, de devoir de bonne foi et de loyauté que nous pourrions appréhender comme une éthique de la négociation. Ce que vise le droit c’est que le consentement des parties n’ait pas été surpris par le dol, celui-ci étant une cause de la nullité de la cession.
Le dol dans la formation du contrat (articles 1109 et 1116 du Code civil) peut être défini comme une tromperie destinée à surprendre le consentement du cocontractant, vendeur ou acheteur.
Au cœur des pourparlers se situe le débat sur la valeur : combien vaut mon entreprise ? Quel prix puis-je proposer pour l’acquisition de la cible ? Encore faut-il qu’acheteur et vendeur disposent ou puissent disposer de l’information nécessaire à cette évaluation.
Contrairement à une idée encore répandue, l’acheteur n’est pas la seule victime possible des manœuvres du vendeur, car ce dernier peut également se tromper ou être trompé par son acheteur sur le « vrai prix ».
Au-delà de l’indication mensongère, ou simplement trompeuse, le silence gardé sur un fait de nature à diminuer la valeur des titres peut être constitutif d’un dol susceptible d’engager la responsabilité du vendeur et d’offrir à l’acquéreur la possibilité de demander en justice la nullité de la vente ainsi que des dommages intérêts (Cass.civ.1ère, 25 juin 2008) si l’intention de tromper existe.
Encore faut-il rapporter la preuve du dol pour pouvoir espérer obtenir la condamnation du vendeur indélicat. Là n’est pas la moindre difficulté procédurale pour la victime. A cet égard la Cour de cassation vient récemment de confirmer sa jurisprudence (Cass.civ.1ère, 28 mai 2008) sur la distinction entre dol principal et dol incident. Le dol est principal lorsque le cocontractant n’aurait pas contracté en l’absence de manœuvres dolosives. Il est considéré comme incident si, en l’absence de telles manœuvres, le cocontractant aurait malgré tout contracté, mais à des conditions différentes. Dans ce dernier cas, la victime du dol n’a pas à rapporter la preuve du caractère intentionnel de la manœuvre – ce qui lui facilite grandement la tâche – et ne peut solliciter que l’octroi de dommages et intérêts, sans pouvoir obtenir la nullité de la vente.
Il faut préciser, ceci est important, que l’acquéreur a un devoir de se renseigner et qu’il conviendra d’écarter le vice de son consentement si le dol est constitué non pas par des manœuvres, mais seulement par le silence du vendeur sur des faits que l’acquéreur pouvait connaître pas des investigations. Autrement dit, l’absence de due diligences est une imprudence, sinon une faute, de l’acquéreur.
Pour autant, certains silences du vendeur sont fautifs. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle sanctionné un président du conseil d’administration, acquéreur de titres auprès d’actionnaires salariés, d’avoir caché la véritable valeur des actions alors qu’il était déjà en négociation pour revendre les mêmes actions à un prix supérieur (Cass. Com.27 janvier 1998)
Il est admis en jurisprudence que « l’acquéreur, même professionnel, n’est pas tenu d’une obligation d’information au profit du vendeur sur la valeur du bien acquis » (Cass.civ.17 janvier 2007).
Par ailleurs, au terme d’une jurisprudence constante, il était également admis que la viabilité de la société cible est considérée comme une qualité substantielle des titres cédés, mais pas la valeur de ceux-ci. En bref, il était, jusqu’alors, quasiment impossible d’obtenir la nullité de la vente de titres (actions ou parts sociales) si le vendeur ou l’acheteur s’était trompé sur leur valeur.
Or, la Cour de cassation vient de juger (Cass. Com.12 février 2008) qu’un associé qui avait cédé ses parts pour leur valeur nominale (15€ la part) sans commune mesure avec leur valeur objective (490€) avait commis une erreur sur la substance justifiant l’annulation de la cession dès lors que, dépressif et peu habitué à la pratique des affaires, il était incapable de mesurer la portée des actes qu’il signait et s’était ainsi trouvé écarté d’une société florissante sans contrepartie réelle. La valeur est donc devenue une qualité de la chose, ce qui était une évidence pour le commun des mortels, mais pas pour les juristes ! Mais il est loin d’être évident que la Cour de cassation maintienne cette jurisprudence.
Le vendeur aurait pu également fonder sa demande sur l’absence de prix réel et sérieux, sanctionnée elle aussi par la nullité de la vente (Cass. Com.23 octobre 2007).
S’il est toujours admis que les parties à la vente peuvent tirer partie de leurs compétences et des informations dont elles disposent, encore faut-il que cet « avantage concurrentiel » soit utilisé dans les limites – difficiles à tracer – de la bonne foi. Il est permis de faire de bonnes affaires, mais pas à n’importe quel prix.
La parole doit être loyale et le silence ne pas tromper.