Quelle est votre analyse de la méthode DCF ?
Pour moi, le DCF, qui veut dire Discounted Cash Flow, signifie également « Dit moi Combien il te Faut ». Concrètement, si l’évaluateur sait que le cédant veut vendre à 30 millions d’euros, il peut parvenir avec cette méthode à une évaluation à 30 millions d’euros. Idéalement, ce prix doit être au centre d’une fourchette. L’évaluateur fait des appréciations de croissance long terme, de croissance perpétuelle. À ce niveau, il est difficile de savoir s’il faut retenir 2 ou 2,5 %. Il y a également des appréciations de coût de l’argent au moment de la transaction, le coût du capital. Les problématiques ici sont très complexes. Il faut se méfier d’un résultat donné par DCF, même si cette méthode apparaît comme la plus carrée, car il s’agit de celle qui contient le plus de chiffres. Le biais principal est qu’un DCF se fait sur un horizon de dix ans, on regarde le cash qui va être généré par la société, et un flux terminal que l’on actualise à perpétuité. Dans cet exercice, les dix premières années comptent pour environ 50 % de l’évaluation et la valeur terminale sur laquelle vous n’avez aucune visibilité compte pour 50 %. Donc, vous basez la moitié de votre évaluation à partir d’un flux terminal qui est finalement la connaissance du cash flow que vous allez générer dans dix ans. Je pense qu’il n’y a pas un analyste qui en 1999 avait le bon free cash flow des sociétés suivies pour 2009. Il est certain que cette méthode a, sur ce plan, un énorme biais. L’évaluateur transforme sa vision de la société en chiffres : son profil de croissance, son degré de risque à travers le taux d’actualisation retenu, le niveau de confiance dans le business plan, etc. Il ne faut pas exclure cette méthode, mais ce n’est pas celle qui donne la valeur la plus représentative.
Quels sont les biais sur les comparables de transaction, qui sont souvent considérés comme une référence ?
Ce peut être notamment le pourcentage de capital qui est concerné par cette transaction, il est difficile de se baser sur la vente de 1 % d’une entreprise pour valoriser 100 % d’une autre société. Il y a également une question de date. Car il est souvent difficile de trouver une transaction vraiment comparable. L’évaluateur va alors la chercher sur un espace géographique différent, mais surtout sur des périodes qui peuvent être très éloignées. Il s’agit là d’un biais important dans la mesure où les conditions économiques pouvaient alors être très différentes.
Un autre biais sur les comparables de transaction concerne le mode de paiement. Car beaucoup d’accords se font également en échange capitalistique. Il existe également le paiement partiel en services. Exemple : j’achète une PME que je paie en partie en cash et en partie à travers des services que je vais développer pour elle ou à travers des commandes que je m’engage à passer. Enfin, il reste les engagements de complément de prix qui n’apparaissent pas dans le prix de cession connu, ainsi que les engagements de rachat de minoritaire.
Vous évoquez la clause de complément de prix. La recommandez-vous ?
Très souvent, le repreneur est amené à dire qu’il ne pense pas que l’investissement du cédant va générer tant de chiffre d’affaires supplémentaires. Il est alors possible d’établir une clause de complément de prix. Je trouve que le complément de prix, ou earn out, est le mode de cession d’entreprise qui est le plus juste. Car chacun défend un futur mais ni le repreneur, ni le cédant ne peuvent savoir ce que va être ce futur. Il est juste de dire, à titre d’exemple, que si le chiffre d’affaires progresse de tant, on donne un complément de prix, sinon, on reste sur le prix de cession qui a été décidé. Je considère ce procédé comme étant très juste. Mais il faut que les critères soient très clairs. A mon sens, moins il y a de critères, mieux c’est. Si des critères de chiffres d’affaires sont combinés avec ceux de profitabilité et d’autres, cela devient plus difficile. Il faut également que les ratios soient très bien définis. Exemple : on a un objectif de résultat l’an prochain de dix millions d’euros qui donne droit à un supplément dans le prix de vente. Mais est-ce que ces dix millions d’euros sont avant ou après exceptionnels ? Est-ce qu’ils incluent un amortissement exceptionnel que je serai forcé de faire ? Est-ce qu’ils incluent une économie d’impôt ? Des difficultés peuvent apparaître sur la profitabilité : quelle est la définition précise du résultat d’exploitation ? Il n’y a pas de problèmes avec les clauses d’earn out si les conseils des deux parties sont judicieux.
Quelle est la méthode d’évaluation que vous préconisez ?
Il serait très prétentieux de dire que l’on dispose de la méthode miracle pour l’évaluation d’une entreprise. Il faut arriver à une fourchette qui serve de base de discussion, car le prix de transaction est le prix que l’acquéreur est prêt à payer et celui auquel le vendeur est prêt à vendre. Comme sur l’ensemble des marchés, il s’agit de la rencontre de l’offre et de la demande. Pour cela, on établit une borne basse et une borne haute. L’AMF (autorité des marchés financiers), qui, comme son nom l’indique, régule les marchés financiers, recommande une approche multicritère. Approche également recommandée par les autorités fiscales. Elle permet de combiner différentes méthodes. Je la préconise, car la DCF et la méthode des multiples n’ont pas les mêmes faiblesses. Très souvent, une problématique va se poser pour la DCF qui ne va pas se poser pour la méthode des multiples et inversement. Donc, avoir une approche qui repose au moins sur deux ou trois méthodes permet d’arriver à une plage d’évaluation cohérente.
Vous écrivez qu’ «il faut trouver une fourchette mais ne pas faire de cuisine ». C’est-à-dire ?
Je suis relativement opposé à l’utilisation de méthodes afin de parvenir à un résultat ultime, mais en pondérant chacune des méthodes. Par exemple, pour 30 % je prends la méthode des comparables boursiers, pour 20 % j’utilise les comparables de transaction, pour 50 % je me sers du DCF… Il s’agit là de cuisine, car l’évaluateur part du prix souhaité par son client pour trouver les bonnes pondérations. Il est important d’utiliser plusieurs méthodes, mais il ne faut pas vouloir les retoucher systématiquement. Valeur et prix sont donc deux notions très différentes. C’est d’ailleurs ce qui permet d’avoir des échanges, car il y a des perceptions de valeurs qui sont différentes entre un acheteur et un vendeur, le prix étant la rencontre des deux.
Quels sont les principaux biais des différentes méthodes d’évaluation que vous recensez dans votre ouvrage ?
La première chose est de bien comprendre ce qu’il y a derrière un résultat opérationnel. Il peut y avoir des abus sur le chiffre d’affaires dans le but que ce dernier soit le plus favorable possible. Il existe également des abus sur la profitabilité, notamment sur les prix de transfert. Si une entreprise à céder possède deux divisions, il faut savoir comment elles vont facturer entre elles. A titre d’exemple, une société a vendu un immeuble qui a été reconnu en chiffre d’affaires et en résultat d’exploitation. Il y a alors une forme de plus-value qui n’est absolument pas liée à votre opérationnel et donc si vous raisonnez en multiple de chiffres d’affaires, l’année est très bonne, mais elle ne sera pas reproduite. Il faut donc bien s’interroger sur la transformation des états comptables en états financiers.
Quel va être l’impact des bilans 2009 dans les évaluations ?
Les gens savent que 2009 est une année atypique et n’est pas révélatrice d’un milieu de cycle. Donc, je ne suis pas sûr que cela impacte fortement les évaluations des entreprises. Le vendeur sait très bien que 2009 a été une mauvaise année, mais que c’est en train de reprendre et l’acquéreur qui met de l’argent sur la table doit avoir confiance dans le futur. On achète du futur. Ici se retrouve un des biais des comparables boursiers ou de transaction, car si l’évaluation doit être faite sur 2009, vous ne tenez pas compte des années suivantes. C’est exactement l’inverse dans un DCF, l’année 2009 ne comptera pratiquement pour rien, mais 2019 compte énormément.
« Les pièges de l’évaluation d’entreprise », d’Edouard Camblain, Vuibert, 2009 – 272 pages, 28 euros.