Rares sont les repreneurs qui parviennent à racheter une entreprise sans engager une partie de leur patrimoine. Il convient toutefois de prendre certaines précautions avant la reprise et une fois l’affaire conclue pour minimiser les pertes en cas d’échec. Explications.
S’engager dans un projet de reprise n’est évidemment pas dénué de risques. L’activité périclite ? C’est alors le patrimoine personnel du repreneur qui peut partir en fumée ! Et s’il n’y prend garde, la famille toute entière peut se trouver exposée aux poursuites des créanciers de la société. Est-ce à dire qu’il est envisageable de se lancer dans l’aventure sans engager ses biens et/ou deniers personnels ? Jean-Patrick Delmotte, avocat au barreau de Paris spécialisé en droit des sociétés et droit commercial, ne le pense pas : « reprendre une entreprise implique nécessairement de mettre en jeu une partie de son patrimoine. Cela atteste en effet de l’implication du repreneur aux yeux des banquiers. Néanmoins, il est possible de négocier l’étendue de la caution selon son âge, son parcours, son expérience… ». Un certain nombre de précautions permettent en outre de minimiser les risques, à commencer par l’aménagement du régime matrimonial.
Aménager son régime matrimonial
On distingue trois principaux régimes qui ont pour objet de régir les relations financières entre mari et femme pendant le mariage et après, en cas de divorce ou de décès.
Le régime de la communauté réduite aux acquêts est le régime « légal », c’est-à-dire dit celui auquel sont automatiquement soumis les couples qui n’ont pas fait établir un contrat avant leur union. Dans cette configuration, les biens sont répartis en trois catégories : les biens propres du mari, les biens propres de la femme et les biens communs aux deux époux. « Les biens propres sont les biens acquis par chaque époux avant le mariage ainsi que ceux reçus par succession ou donation pendant le mariage. Les biens communs sont ceux acquis depuis le mariage à l’aide des revenus de chacun des conjoints, quelle que soit l’origine de ces revenus (biens propres, biens communs ou fruit du travail) », précise Jean-Patrick Delmotte. Donc, si l’entreprise a été reprise avant le mariage, elle appartient exclusivement au repreneur. A l’inverse, si elle a été acquise après le mariage, elle appartient aux deux conjoints même si le repreneur est seul à y travailler.
Mieux vaut renoncer à ce régime lorsque l’on est entrepreneur. « En cas de dépôt de bilan, si le dirigeant est poursuivi à titre personnel pour faute de gestion, les créanciers peuvent faire vendre les biens communs et se payer sur la totalité du produit de la vente », explique Jacques Vautier, notaire à Joué-les-Tours, membre du groupe Monassier. En outre, si les parts de la société ont été achetées après le mariage avec les biens communs, elles dépendent de la communauté même si elles sont au nom du repreneur. « Du coup, en cas de divorce, le conjoint peut exiger de récupérer la moitié des parts. Ce qui peut parfois contraindre le repreneur à vendre l’entreprise pour procéder au partage », poursuit Jacques Vautier. Bien sûr, si le repreneur a racheté la société avant le mariage ou pendant le mariage avec ses biens propres (ex : donation de ses parents), elle lui appartient intégralement. « Dans ce cas, il faut introduire une clause de “remploi” dans les statuts précisant que l’argent utilisé pour acquérir la société fait partie des biens propres », conseille Jacques Vautier.
Avec le régime de la séparation de biens, les règles sont plus simples : c’est chacun pour soi ! Les époux gèrent leur patrimoine respectif dans leur coin, en toute indépendance. « Si le repreneur rencontre des difficultés financières, seuls ses biens propres pourront êtres saisis par les créanciers », explique Jean-Yves Bryon, expert-comptable et conseil en stratégie patrimoniale chez France Défi, premier groupement français d’experts-comptables et de commissaires aux comptes. Autre intérêt, et non des moindres : « si le couple bat de l’aile, le conjoint ne pourra pas s’immiscer dans la gestion quotidienne de l’entreprise, ni revendiquer la qualité d’associé », poursuit-il. Une sécurité importante compte tenu du fait qu’aujourd’hui, près d’un couple sur deux divorce dans les grandes villes et que la période précédant le divorce donne souvent lieu aux pires coups bas…
Georges Dintras, notaire associé au sein de la SCP Dintras, Bossé & Brami tient toutefois à préciser que si 80 % des notaires recommandent une séparation de biens, il existe une alternative : créer une société d’acquêts. « Il ne s’agit pas d’une société au sens juridique du terme, mais d’une clause particulière insérée au contrat de mariage. Elle permet de soumettre telle ou telle catégorie de biens aux règles du régime légal de la communauté réduite aux acquêts », explique-t-il. Les époux sont libres de choisir les biens qu’ils apportent à la société et de décider du sort qui leur sera réservé en cas de divorce ou de décès.
Troisième régime : celui de la participation aux acquêts. « C’est le plus compliqué, mais aussi le plus équitable », affirme Jacques Vautier. Pendant le mariage, cela fonctionne comme une séparation de biens. Et à la dissolution du mariage, on fait les comptes afin d’évaluer l’enrichissement de chacun des deux patrimoines. « L’époux qui s’est le plus enrichi doit verser la moitié de ce qu’il a acheté à son conjoint », indique Jacques Vautier. Et de conclure : « avec ce régime, le repreneur protège le patrimoine de son conjoint à l’égard de ses créanciers pendant le mariage. Mais il ne se protège pas de son conjoint en cas de divorce ».
Chacun de ces régimes comporte également des règles spécifiques en matière de transmission. Il est donc indispensable de consulter un notaire bien en amont de la reprise. Celui-ci jugera, après un examen approfondi de la situation du repreneur, de l’opportunité de changer de régime matrimonial, en fonction notamment des besoins, des objectifs et de la composition du patrimoine. A noter d’ailleurs que depuis le 1er janvier 2007, la procédure de changement de régime est plus rapide et moins onéreuse qu’auparavant, du moins pour les couples sans enfants ou dont les enfants sont majeurs. « Pour ces catégories, un acte notarié suffit », indique Jacques Vautier. En revanche, les couples ayant des enfants mineurs sont toujours tenus de faire homologuer cet acte notarié auprès du tribunal de grande instance. « Le délai est plus long et la procédure plus coûteuse, car le recours à un avocat est nécessaire », pointe Jacques Vautier.
Après le rachat de l’entreprise, il est un autre dossier à ne pas négliger : celui de la prévoyance.
Mettre en place des solutions de prévoyance adaptées
Protéger son patrimoine, c’est aussi se prémunir contre les aléas de la vie. Car les conséquences d’un décès, d’une invalidité ou même d’une incapacité temporaire de travail peuvent se révéler désastreuses tant pour l’entreprise que pour la famille. Preuve que cela n’arrive pas qu’aux autres : 20 % des hommes décèdent avant l’âge de 65 ans.
Deux démarches complémentaires s’imposent. La première vise à assurer ses arrières sur le plan financier. « Le régime social des indépendants est certes moins coûteux que celui des salariés. Mais il est aussi moins protecteur en cas de maladie et de décès », souligne Jean Piedallu, conseiller en cession d’entreprise. Conclusion : ne mégotez pas sur les assurances complémentaires. La deuxième démarche a pour but de garantir la pérennité de l’entreprise. Deux types de mandats sont prévus à cet effet. « Le mandat de protection future, tout nouveau, permet de désigner un ou plusieurs mandataires chargés d’administrer la société pour le cas où le repreneur verrait ses capacités physiques ou mentales altérées au point qu’il ne serait plus en mesure de pourvoir à ses intérêts », explique Georges Dintras. Ce document, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2009, mais qu’il est possible de faire établir dès à présent, décrit notamment les actes de gestion et de disposition que le mandataire sera autorisé à effectuer.
Le mandat à effet posthume, quant à lui, permet au repreneur de confier, de son vivant, à une ou plusieurs personnes la mission de gérer tout ou partie de sa succession, y compris l’entreprise. « Il a une durée de 2 ou 5 ans prorogeables par le juge, contrairement au mandat de protection future qui n’est pas limité dans le temps », précise Georges Dintras.
Anticiper les accidents de la vie peut s’avérer fort utile, car nul ne sait comment les descendants réagiront en pareille situation. « J’avais récemment dans mon bureau des héritiers qui affirmaient : “on se battra jusqu’au bout même si l’entreprise doit perdre toute sa valeur” », raconte Georges Dintras. Une anecdote à méditer, particulièrement dans les familles recomposées.
Éviter d’éparpiller les parts
Dans une opération de reprise, le choix des associés est un point crucial. Il conditionne en effet le pouvoir de gérer l’entreprise. « En pratique, il y a très souvent des associés au capital qui n’ont rien à y faire (ex : belle-mère, frère…) », constate Jean-Yves Bryon, expert-comptable et conseil en stratégie patrimoniale chez France Défi, premier groupement français d’experts-comptables et de commissaires aux comptes. « Il ne faut pas éparpiller les parts sans une absolue nécessité », conseille-t-il. D’une part, parce que récupérer les titres peut coûter très cher. D’autre part, car le repreneur devra verser une partie des bénéfices à ces associés « dormants » alors qu’ils n’ont rien fait pour développer la société. Rageant quand on réalise que ces sommes auraient pu venir gonfler son propre patrimoine…
Dans le même ordre d’idées, il est recommandé de prévoir les modalités de sortie des éventuels partenaires financiers (business angels, capital-risqueurs…) dans les statuts. « Si l’activité tourne bien, le repreneur aura intérêt à les voir partir le plus tôt possible », indique Jean-Yves Bryon.