Cinq semaines pour réussir

2 octobre 2008

Isabelle Marie

Une reprise d’entreprise, quel que soit son état, s’accompagne toujours d’une restructuration, vilain mot dans l’esprit du public, parce que malheureusement compris comme le prélude à un plan de licenciements douloureux. C’est parfois vrai. Mais une reprise se traduit toujours, intrinsèquement, par une restructuration. On ne change pas de P-DG sans que le nouveau ait la volonté de forger l’entreprise à son image, qu’il soit le successeur du fondateur, d’un manager de transition ou qu’il ait acquis l’entreprise à la barre du tribunal. Quelle que soit la qualité de la gestion de son prédécesseur, c’est son style et ses méthodes qu’il va maintenant vouloir imposer, quitte à froisser quelques susceptibilités. On ne dirige jamais avec les techniques ou l’expérience d’un autre. La prise du pouvoir est une rupture et toute organisation, petite ou grande, civile ou militaire est le reflet de la personnalité de celui qui la dirige. Diriger, c’est agir et non réagir. Aussi, quand on veut changer les choses, faut-il montrer l’exemple. Ce n’est pas seulement la meilleure façon d’influencer les autres… c’est la seule.

L’acquisition est bouclée et le "closing" vient d’avoir lieu ; le repreneur va maintenant prendre la direction effective de l’entreprise convoitée. Attention! Il est attendu de pied ferme. " On n’a jamais une seconde chance de faire une première bonne impression " dit l’adage. Il devra donc soigner son arrivée et ne pas hésiter à la mettre en scène. Quelle que soit la taille de sa nouvelle entreprise, il est celui qui va bousculer les habitudes; il n’est donc pas forcément le bienvenu. De ses premières paroles, de ses premiers gestes, de ses premières décisions dépendront l’ambiance dans laquelle se déroulera sa nouvelle mission et la confiance dont il jouira. Il est donc indispensable, parce qu’il faut aller vite, de prendre, malgré tout, le temps de faire connaissance et d’absorber toute l’information disponible tout en veillant à ne s’exprimer sur rien. Après tout, personne n’attend de lui des prises de position immédiate.
Manifester un vrai leadership
Le premier jour, dès son arrivée, le repreneur se fera présenter l’encadrement et lui donnera immédiatement la parole. Il fera ensuite le tour des locaux, excellente occasion de saluer chacun des employés à son poste de travail et d’écouter attentivement les commentaires, remarques, sous-entendus, même, qui lui sont adressés. Car, s’il est important que le nouveau dirigeant, au moment où il prend en main son entreprise, soit un manager compétent sachant administrer et contrôler, il faut, avant tout, qu’il manifeste un vrai leadership. Il doit inspirer les autres, susciter l’enthousiasme et l’engagement, être capable de former des équipes et de les faire travailler ensemble, saisir les valeurs de l’entreprise et les faire respecter, bref, en être l’architecte social. Savoir commander, c’est savoir insuffler à d’autres le désir de travailler sous son commandement en vue d’atteindre un objectif commun.

Le repreneur doit maintenant se mettre en position d’éponge et absorber. Pour bien connaître une entreprise, il faut, selon sa taille, passer une à deux semaines en entretiens individuels avec les membres du personnel, la totalité dans une petite entreprise, plusieurs dizaines dans les plus grosses. Il faut avoir précisément codifié ces entretiens auparavant, afin de pouvoir en faire ultérieurement une synthèse cohérente. Tout le monde sait qu’il y a deux organigrammes dans une société : celui qui est publié et le vrai, qui est le rapport quotidien des femmes et des hommes de l’organisation. La grille d’analyse qu’il aura construite va logiquement lui donner une idée assez précise de ce qu’est l’entreprise et l’état dans lequel elle se trouve. En premier, seront appréhendés sa structure et sa culture, puis les processus de décision, la stratégie, les méthodes de planification, le marketing, les ventes et l’après-vente, la production, la qualité, les finances et la gestion de l’innovation.

Le repreneur appréciera ainsi la cohérence ou l’incohérence des équipes et de leur mode de fonctionnement. Plus importantes que les bilans et les comptes de résultats, la position de la société sur son marché, ses relations avec ses clients et ses fournisseurs, les marges qu’elle dégage par rapport à la moyenne du secteur lui seront d’une aide précieuse dans l’élaboration de la stratégie. Bien sûr, toutes ces informations, prises une à une, auprès d’individus isolés, dans le secret d’un tête-à-tête, sont forcément subjectives, mais, outre qu’elles permettent de voir l’entreprise avec les yeux des salariés, c’est leur synthèse qui donne, au final, une image relativement juste des hommes et des pratiques.

Il faut savoir ronger son frein et faire connaissance avant d’agir. Après deux semaines consacrées au personnel, il est temps, pour le repreneur, de s’aérer et de consacrer une semaine à rendre visite à quelques clients et fournisseurs-clés, aux banques, aux édiles et notabilités locales, en appliquant toujours une même et unique règle: enrichir sa réflexion du regard que les autres portent sur l’entreprise. Il sera toujours temps, plus tard, de négocier, de vendre ou d’acheter. Pour nourrir sa réflexion stratégique, le repreneur doit avoir une idée précise de l’entreprise, de son marché, de son environnement, de ses forces et de ses faiblesses. Seuls les femmes et les hommes de tous horizons qu’il consultera le lui permettront.

Enfin, il passera une semaine en apnée dans les chiffres, se pénétrera du passé et imaginera le futur. Il constituera aussi sa garde rapprochée, même si elle doit n’être que provisoire, afin de consacrer la dernière et cinquième semaine, en prenant tout le temps nécessaire, à élaborer une stratégie gagnante et des politiques claires et compréhensibles de tous.

Le succès d’une reprise d’entreprise réside dans la vitesse avec laquelle le repreneur se met en position d’agir. Mais, c’est en acceptant de consacrer cinq semaines à sa connaissance et à une réflexion approfondie qu’il se donne de vrais moyens d’action. À l’heure de prendre l’entreprise en main pour la conduire vers la réalisation des objectifs qu’il s’était fixés lorsqu’il avait décidé de son acquisition, sa détermination sera d’autant plus grande que ses convictions seront fortes.