Audrey Régnier a repris, en janvier 2018, la manufacture d’aiguilles et d’épingles Bohin France, située dans l’Orne. Ses priorités sont d’abord de pérenniser l’entreprise et les emplois, et d’accélérer le développement à l’international. Cette trentenaire dynamique fourmille d’idées et de projets.
Comment passe-t-on, en quelques années, de salariée à repreneuse d’une PME de 40 collaborateurs ?
Je suis arrivée dans cette entreprise en 2011 comme responsable des visites au grand public. Je suis vraiment tombée amoureuse des bâtiments et du savoir-faire de cette manufacture fondée en 1833. J’ai beaucoup travaillé sur l’aspect historique de l’entreprise, sur la communication, mais aussi sur les process de fabrication. Cette entreprise était déjà ma vie ! En 2017, le cédant a commencé à discuter avec un premier repreneur extérieur, mais l’opération ne s’est pas faite. Il m’a alors dit qu’il pensait à moi comme repreneur. A ce moment-là, j’ai immédiatement su que je reprendrai cette entreprise.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur Bohin France ?
Nous sommes le dernier fabricant français d’aiguilles à coudre à main, d’épingles à tête de verre, d’épingle de sûreté, mais aussi d’agrafes, etc., bref une production très large d’outils de confection. Notre catalogue compte près de 2 500 références. Nous avons une partie production, en France, et une partie négoce, car dans la mercerie, il faut pouvoir proposer un assortiment très large. Notre chiffre d’affaires est de 4 millions d’euros en 2018 avec 38 salariés.
Le financement de l’opération n’a-t-il pas été une barrière à vos projets ?
Bien évidemment, sur le plan financier, cette opération de reprise pouvait paraître hors de portée pour mon mari et moi. Lorsque nous nous sommes positionnés avec mon époux, nous étions jeunes trentenaires, avec des salaires moyens et une maison achetée à crédit. Mais nous avons alors eu la chance de rencontrer un ami de la famille, qui venait lui-même de vendre son entreprise, et qui souhaitait investir une partie de ses fonds dans une reprise ou une start-up. Il voulait nous aider, mais sans intervenir en aucune façon dans la gestion de l’entreprise. Deux banques locales nous ont suivis sans difficulté. Le fait que je connaisse très bien l’entreprise et que je sois assez connue au plan local a vraiment rassuré les banquiers. Il est vrai qu’aujourd’hui, Bohin France est aussi un lieu touristique important pour la région avec son parcours de visite de l’entreprise et ses espaces de musée qui y est adossé. Pour moi, c’est une très bonne carte de visite. Pour les banquiers, j’étais vraiment la bonne personne. Notre ami investisseur a monté sa holding et nous en avons une avec mon mari. Ces deux entitées sont actionnaires d’une holding commune qui détient le groupe Bohin.
Comment se sont déroulées les négociations sur le prix de cession avec un cédant que vous connaissez très bien ?
Nous avons alors entamé le processus de négociation avec le cédant, qui partait en retraite, avec l’aide d’un avocat fiscaliste et d’un conseiller financier. Connaissant très bien l’entreprise, je savais que le prix de cession, certes assez élevé, était tout à fait justifié. Il n’y a pas eu véritablement de négociations sur cet aspect.
L’entreprise reprise doit dégager davantage de cash flow qu’avant son rachat pour le remboursement de la dette d’acquisition. Quelle est votre stratégie de développement ?
Au moment du rachat, nous avions défini un certain nombre d’objectifs que nous sommes en train de mettre en œuvre. Aujourd’hui, nous ne vendons qu’à des grossistes, avec une communication B to C longtemps oubliée. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas être de bons communicants, sinon nos parts de marché vont diminuer. A titre d’exemple, afin de dépoussiérer notre image, nous avons changé nos logos, tous les packagings, le site internet, etc. Nous publions des newsletters professionnelles, avons développé une politique de relation publique et de communication sur les réseaux sociaux. Mais c’est surtout à l’export que nous pouvons vraiment gagner des parts de marché, car le made in France s’exporte très bien. Depuis le début de l’année, nous avons dépassé les 35 % à l’export, alors qu’auparavant l’entreprise ne franchissait pas les 20 %. L’ensemble de nos marchés à l’export est en développement, en particulier les États-Unis. Pour la France, le challenge est de conforter nos positions et d’aller chercher de nouveaux clients en adéquation avec notre image de marque. Nous souhaitons également investir en recherche et développement notamment pour développer d’autres productions complémentaires au sein de l’entreprise. Nous avons aussi engagé la digitalisation de l’ensemble de nos services afin de gagner en efficacité.
En tant que nouvelle dirigeante, quelle a été votre stratégie auprès de vos collaborateurs lors des premières semaines ?
La reprise a été annoncée aux collaborateurs quelques jours après la signature, début janvier 2018. Les collaborateurs, qui ont donc été mes collègues durant des années, ont vraiment été très surpris d’apprendre que j’avais repris la société et que j’étais, dès lors, leur dirigeante. Après à peine une semaine, certains salariés sont venus me voir pour me demander certains avantages, du fait des bons rapports que j’ai toujours entretenus avec mes collègues ! Donc, j’ai rapidement tenu une réunion pour expliquer à tout le monde que mon objectif premier était avant tout d’assurer la pérennité de l’entreprise et la viabilité de leurs emplois, tout comme leur garantir mon objectivité à tous. De même, j’ai dû poser quelques règles assez strictes, notamment sur les pauses, car il existait certaines dérives. J’ai également mené des entretiens individuels avec chacun, ce qui a libéré la parole de certains. Désormais, nous fonctionnons vraiment dans l’échange au quotidien et dans la collégialité. Nous nous nourrissons chacun des expériences des autres. Aujourd’hui, nous nous trouvons dans une stratégie de développement de projets, je demande aux salariés d’avoir vraiment confiance en moi. Parallèlement, je suis à leur écoute. Pour l’instant, il s’agit d’une stratégie gagnante !