Lors d’une conférence au Salon des Entrepreneurs de Paris 2020, Patrick Lemarié, directeur général du cabinet conseil Intercessio, et Jean Myotte, senior advisor chez Interactis, ont livré leurs analyses sur la formation du prix d’acquisition et sur l’approche que doivent avoir cédant et repreneur de l’opération de cession.
Quelles questions se doit de se poser le repreneur lorsqu’il est en phase de recherche de cible ?
Jean Myotte : Avant tout, la dimension de l’entreprise doit être pertinente et bien calibrée. Il est inutile de s’attaquer à l’Everest, si l’on a que le Ballon d’Alsace dans les jambes ! Deux questions importances : Est-ce que cette cible est à ma portée ? Est-ce que le vendeur est sérieux et véritablement vendeur ? Sinon, le repreneur va perdre son temps. Autre élément, l’acheteur doit bien se poser la question de savoir si ses propres qualités et compétences seront en adéquation avec l’entreprise visée. Par exemple, la cible peut être complémentaire d’une activité que le repreneur possède déjà, donc il va s’attacher à créer des synergies. Autre cas de figure intéressant, techniquement, il est un spécialiste du secteur et va donc être capable de développer l’activité.
Quelle est la bonne attitude du repreneur lorsqu’il a trouvé sa cible ?
Patrick Lemarié : Lorsque le repreneur approche une cible, il convient de procéder à un mix intelligent entre, d’une part, récupérer des informations, comme les comptes, les bilans, etc., et, d’autre part, avoir beaucoup d’entretiens avec le cédant. Il est vraiment nécessaire de parler longuement avec les dirigeants pour bien comprendre l’entreprise. La collecte d’information va, notamment, permettre de bâtir un dossier solide pour aller négocier avec les banquiers. Cela peut paraitre évident, mais ce n’est toutefois pas toujours le cas, il faut parfaitement comprendre l’entreprise et son activité. A titre d’exemple, nous avons récemment vendu une entreprise de fabrication de foie gras. L’élément clé du dossier était la gestion des eaux usées, ce à quoi on ne pense pas forcément de prime abord.
Donc, il convient de ne pas se focaliser uniquement sur les documents financiers…
Patrick Lemarié : L’aspect financier ne vous dira pas tout de l’entreprise même en regardant attentivement les comptes. Il est nécessaire d’interroger intelligemment le dirigeant afin de savoir à quoi correspondent les différents postes de charges. Il peut y avoir des pertes cachées ou de la rentabilité cachée. Par exemple, une société peut être rentable mais le patron ne se paie pas. Ce peut être son épouse qui gère la comptabilité, mais elle ne se paie pas également.
J’ai eu, à l’inverse, le cas d’une affaire d’ingénierie électrique plutôt rentable mais les salariés pouvaient travailler largement plus que 35 heures, tout en étant payés 35 heures. Lorsque le repreneur est arrivé, ce ne s’est pas bien passé sur cet aspect des choses.
L’évaluation est-elle l’élément déterminant aussi bien pour le cédant que pour le repreneur ?
Jean Myotte : Certaines méthodes d’évaluation sont avantageuses pour le vendeur, d’autres pour le repreneur. Mais l’essentiel est de se montrer raisonnable et d’être crédible. Il ne faut jamais perdre sa crédibilité car, dès lors, il est extrêmement compliqué de revenir en arrière. A chaque étape, il faut pouvoir véritablement justifier sa position, argumenter et ne pas se contenter de dire le prix est trop élevé.
Patrick Lemarié : Au-delà du prix, et des méthode d’évaluation, ce qui nous regardons avant tout est de savoir si notre acheteur est un vrai acheteur. La valorisation va forcément de pair avec la faisabilité de l’opération. Une personne qui va réussir une bonne évaluation de la cible, sérieuse, mais qui ne trouve pas son financement, n’est pas, pour moi, un bon acheteur. Le prix est une combinaison de différents facteurs, dont les éléments financiers, bien sûr, mais aussi, du côté du vendeur, de sa faculté à trouver un acheteur qui a les reins solides. J’ai récemment eu le cas d’un repreneur solide, de plus le mieux disant, mais qui a eu une mauvaise méthode de présentation. Le cédant s’est tourné vers un autre candidat à la reprise.
La dimension humaine et psychologique est donc fondamentale ?
Jean Myotte : Cette dimension humaine vaut à l’achat comme à la vente. Sur ce plan, il apparaît très important de savoir comment est détenu le capital. Si vous rachetez une entreprise détenue par un fonds, la situation est simple, le vendeur tiendra peu compte de la dimension humaine mais souhaitera avant tout le plus gros chèque possible. A l’inverse, pour une entreprise familiale, il est très important de savoir qui contrôle véritablement l’entreprise et comment est réparti le capital. Au sein d’une famille, il peut arriver que les actionnaires héritiers souhaitent vendre mais que le manager, lui aussi héritier, soit moins convaincu. Dans la négociation, il sera alors utile de savoir le contourner, du moins en partie. Les aspects financiers dans une vente d’entreprise sont incontournables mais si le repreneur ne se focalise que sur ces derniers, il réduit considérablement ses chances d’aboutir. Si l’acheteur ne prend pas assez en considération l’aspect humain et la dimension psychologique, il peut très facilement passer à côté de l’opération.
Le résultat de l’évaluation ne marque-t-il que le début des négociations sur le prix de cession ? Qui doit négocier « en frontal » le prix de vente ?
Patrick Lemarié : Je ne recommande pas aux acheteurs et aux vendeurs de se s’impliquer directement, en face à face, dans ces négociations sur le prix. Dans ce type de négociations, il y a forcément de l’irrationnel. Pour le vendeur, son entreprise est très souvent toute sa vie et il y a un certain nombre d’éléments qui vont jouer même s’il ne les verbalise pas. De même, l’acheteur va se trouver dans un environnement qui va l’influencer. Si cédant et repreneur parlent en direct du prix, ils vont ramener toute leur charge émotionnelle et ne seront pas rationnels. Dès lors, le climat ne sera pas propice à la discussion. Il vaut, donc, mieux que les conseils prennent la main.
L’évaluation va servir de socle de discussion mais d’autres paramètres vont entrer en ligne de compte dans le déclenchement de l’achat ou de la vente. A titre d’exemple, je viens de recevoir une offre qui est 25 % inférieure à ce que me demandent mes clients vendeurs. Mais en analysant l’offre, je vois qu’il y a un certain nombre de portes ouvertes pour la négociation : que fait-on du résultat de l’année ? Propose-t-on un complément de prix ? Est-ce que le niveau de la GAP est négocié ? Est-ce que l’acheteur peut se passer d’une clause suspensive de financement (ce qui est une très bonne chose) ? Il faut donc bien regarder, dans une offre, tous les éléments autours du prix qui sont également très importants. Sur une affaire récente, il y a eu la possibilité de distribution de dividendes avec une fiscalité allégée, cela a complètement changé la donne dans les négociations.
Jean Myotte : Nous avons un rôle d’amortisseur, qui est très important. De plus, le conseil peut toujours revenir en arrière. C’est plus délicat pour le cédant ou pour le repreneur lorsqu’ils sont en face à face. Les conseils possèdent, très généralement, une marge de manœuvre plus importante lors de ces négociations. Par ailleurs, le rôle d’investigateur, qui peut parfois frôler l’indiscrétion, est plus facile à tenir par le conseil que par le repreneur.
En cas de négociations un peu compliquées, une clause d’earn out ou un crédit-vendeur peuvent-ils mettre de l’huile dans les rouages ?
Patrick Lemarié : Ces éléments peuvent, en effet, venir compléter la transaction. Généralement, une fois la transaction opérée, et éventuellement après une période d’accompagnement, vendeur et acheteur ne se voit plus. De ce fait, ces clauses peuvent être, dans certain cas, délicates à gérer dans le temps. Toutefois, dans des dossiers où il y a une difficulté pour boucler le financement et si le vendeur a vraiment confiance dans le repreneur, cette solution du crédit-vendeur est bonne. Il est possible de sécuriser le crédit-vendeur avec, par exemple, un nantissement des titres.